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Véronique Gens et Sandrine Piau : rivales, mais copines

Dans un concert destiné à évoquer les splendeurs vocales de deux grandes cantatrices de la fin du XVIIIᵉ siècle, et nous font part de splendides découvertes musicales. Belle manière également de clore la résidence messine de et du Concert de la Loge.


Intitulé « Rivales », le programme de ce concert (identique à celui du CD qui vient de sortir chez Alpha Classics) est destiné à rendre hommage à la carrière de deux grandes cantatrices de la France néo-classique, la soprano dite Madame Dugazon et la mezzo appelée Madame Saint-Huberty. La première, dont le nom est à l'origine d'une typologie vocale bien connue, était un soprano relativement léger, célébré pour la tendresse et la délicatesse de son chant ainsi que pour l'ingénuité et la naïveté qui se dégageaient de sa personnalité scénique et vocale. Ces dernières ont inspiré moult rôles à des compositeurs d'opéras comiques comme Monsigny, Grétry ou Dalayrac. La deuxième, alsacienne de naissance, était plutôt un grand mezzo corsé, imprudemment sollicité vers l'aigu, idéal pour les emplois pathétiques et majestueux que Sacchini, Piccinni ou Cherubini avaient créés pour elle, ou encore pour les grands rôles gluckistes qu'elle avait eu l'occasion de reprendre à Paris. Même s'il est peu probable que les deux chanteuses se soient produites sur la même scène – ce qui rendrait d'une certaine manière « apocryphes » les trois duos proposés par et au cours de ce concert –, la plupart des airs figurant au programme ont été créés par l'une ou l'autre des deux chanteuses. Sans doute, cependant, la Dugazon n'a-t-elle jamais chanté le délicat « Se mai senti » de La clemenza di Tito de Gluck, appelé à devenir « Ô malheureuse Iphigénie » d'Iphigénie en Tauride. Mais pourquoi se priverait-on des splendeurs de la ligne de chant et du legato de ? Quoi qu'il en soit, le prétexte de la supposée rivalité entre les deux chanteuses donne lieu à de passionnantes découvertes au sein d'un répertoire encore négligé, constitué d'ouvrages d'inspiration néo-classique pour lesquels la force de la déclamation parlée ou vocale cherche encore à faire bon ménage avec la mélodie aux accents presque belcantistes, voire – et le duo de La clemenza di Scipione de Jean-Chrétien Bach le montre – avec les fastes de la vocalise et de la virtuosité hérités du baroque.

On ne pouvait faire meilleur choix, pour ce programme destiné à rendre hommage à deux monstres sacrés de l'histoire de l'opéra français, que de faire appel à Sandrine Piau et , deux interprètes dont le dévouement au service de l'opéra baroque français n'est plus à prvouer. Le soprano ductile, fluide et aérien de Sandrine Piau, au timbre si délicatement irisé, semble idéal pour les rôles de la Dugazon. De Véronique Gens, soprano velouté bien installé dans le grave, et qui se prête de mieux en mieux aux grands emportements dramatiques, on apprécie comme d'habitude la noblesse des phrasés ainsi que la perfection de la diction. Peut-on rêver d'une plus belle Alceste, surtout avec un accompagnement orchestral comme celui proposé par les musiciens du Concert de la Loge ? Les voix de nos deux immenses artistes, professionnelles jusqu'au bout des ongles, proposent une richesse et un contraste de couleurs qu'il semble difficile d'égaler de nos jours. Pour la musique de cette période, laquelle marque une transition entre les XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, est visiblement la phalange idéale. La direction énergique de donne tout l'élan nécessaire à nombre de pages pré ou post révolutionnaires. On aura tout particulièrement goûté la présence massive des cuivres, abondamment sollicités pour des ouvrages aux accents déjà préromantiques. Belle manière en tout cas, pour le chef et son ensemble, de faire leurs adieux à leur résidence messine. Le public espère ardemment un retour prochain.

Crédit photographique : © Cité Musicale de Metz

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