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Les Aventures du Roi Pausole à Montpellier : Opéra Junior ambassadeur d’Honegger

Les œuvres du compositeur-suisse-qui-a-passé-toute-sa-vie-en-France ressortent rarement du Purgatoire où leur succès immédiat les a envoyées : une nouvelle raison de se précipiter à Montpellier.


Honegger est de retour. Et c'est la jeunesse qui s'y colle ! Opéra Junior vise, depuis 1990, date de sa fondation en Occitanie par le regretté Vladimir Kojoukharov, l'ambition de l'opéra pour tous dès le plus jeune âge, démarche qui, dès 1982, animait déjà, en Franche-Comté, l'Ensemble Justiniana. Après Fribourg et Besançon en 2004, Genève en 2012, c'est Opéra Junior qui vient rappeler à ses oublieux aînés que non seulement le grand ne fut pas que l'auteur de Jeanne d'Arc au bûcher, seul opus resté au répertoire lyrique de celui qui eut le malheur d'être un compositeur populaire de son vivant, mais qu'il composa aussi trois opérettes. Dont ces Aventures du Roi Pausole, jouée cinq cents fois après sa création en décembre 1930, année où Schoenberg avait donné Von Heute bis Morgen, et Janáček De la maison des morts !

Basée sur le livret facétieux qu'Albert Willemetz avait tiré du roman « coquino-libertaire » de Pierre Louÿs paru en 1901, Les Aventures du Roi Pausole est une opérette épatante : le bon Roi Pausole (ce n'est pas un oxymore) part à la poursuite de sa fille Aline, princesse partagée entre ses sentiments pour une fille (Mirabelle) et un garçon (Giglio), ce que la blanche Aline (tout sauf une oie, donc) résume d'« un désir fou d'apprendre. » Très osé, très engagé, Les Aventures du Roi Pausole n'a non seulement pas pris une ride, mais il y a fort à parier que son sourire perpétuel ne masque pour longtemps encore le sérieux d'un manifeste à brandir par une humanité encore empêtrée, au XXIᵉ siècle, entre injonctions politiques et religieuses.

Le spectateur de 2022 trouve donc un havre inespéré dans le Royaume de Triphème, une contrée idéale gouvernée par un souverain idéal (léger et court vêtu) dont le programme politique est simple : « A ton voisin, jamais tu ne nuiras, mais à part ça, fais tout c'que tu voudras ». Lors du galvanisant grand Finale du II, le peu châtié Hymne National se terminant par « Nous demandons qu'on nous foute la paix » amuse certes, mais doit aussi être pris au premier degré sous la plume du pacifiste notoire que fut Honegger. A ce militantisme politique, son corollaire : celui des sens. « Que l'amour soit gratuit, laïque, obligatoire. » Les va-vient de la princesse Aline entre Mirabelle et Giglio, entre le « la » et le « le », sont le sel d'une intrigue questionnant les rapports hommes-femmes via l'identité sexuelle. Mirabelle pousse jusqu'à l'éloge du travesti, « un système assez malin qui permet à ceux qui aiment le féminin d'aimer quand même le masculin ». Le tout résonne tellement avec aujourd'hui que le néophyte serait prêt à parier sur l'opportunisme d'un metteur en scène soucieux, comme il est d'usage à l'opérette, de séduire ses contemporains. Or tout est dans Les Aventures du Roi Pausole ! Même la révolte du II, seulement actualisée d'hilarantes pancartes : « Ni dieu nichons ! » ou « La femme n'est plus l'avenir de l'homme : qu'il se démerde ! »


Les 44 adolescents d'Opéra Junior deviennent les ambassadeurs décomplexés de la philosophie pausoliennne, ravis de faire mouche avec les rimes farceuses de Willemetz (« il s'en alla du vin d'ici dans l'eau de là »). Certaines phrases parlées ou chantées sont parfois couvertes par la trentaine d'instrumentistes dirigés par un (maître d'oeuvre d'Opéra Junior depuis 2009) duquel on aurait attendu davantage de dentelle : l'on doit se rabattre plus d'une fois vers les surtitres d'une œuvre aussi variée que savamment écrite (mention au Septuor des Sept Avis Différents !), qui fait musique tout ce que le XXᵉ siècle naissant apportait à la musique : saxophone, accents jazzy… Les 32 numéros (souvent très brefs) de Pausole recèlent de quoi mettre en avant la pépinière de solistes d'Opéra Junior : Léo Thiery en Giglio, Maeva Mercat en Aline, en Diane, en Taxis, en Mirabelle, en Dame Perchuque… Une distribution en partie renouvelée pour la seconde représentation. Les chœurs en tutti sont particulièrement brillants, les voix juvéniles en présence, surtout celles des filles, compensant avec éclat la relative verdeur de l'ensemble par une fraîcheur dont seraient bien incapables des voix plus professionnelles. L'Entrée du Chocolat Espagnol, énergiquement chorégraphiée, fait son plein effet, même débarrassé de ses castagnettes. Un beau travail d'ensemble, qui aurait dû voir le jour au funeste printemps 2020, et dont les presque deux heures sont données ici sans entracte mais sans leur ballet. Un coup de jeune salutaire pour une œuvre que d'aucuns seraient tentés de qualifier de « datée ».

Pas une seconde d'ennui avec la mise en scène de , ravie de suivre une action aux dialogues nécessairement ramassés, lisible et lestée de quelques gags hilarants : les six lettres des six ballons censés fêter P.A.U.S.O.L.E. dont la prime apparition désordonnée affiche S.A.L.E.P.O.U. Le décor est sobre : de grands voilages perméables et mobiles cernent une aire de jeu habitée d'un escalier modulable, d'accessoires (lustre, lampadaires…) nous faisant passer du harem de Pausole avec ses 365 femmes au I (une par jour !) à une métairie au II, puis à un hall d'hôtel au III (acte visuellement le plus convainquant). Les costumes auraient gagné à être stylisés, confinant chacun, notamment pour l'Acte I, dans le désuet des opérettes de jadis. Un panneau de néons fait de temps à autre miroiter à nos yeux éblouis les huit lettres de l'utopique royaume de Tryphème,  n'apparaissant sur aucune carte géographique, ainsi que nous l'enseigne un Prologue parlé. En ces temps incertains, on aura donc à cœur de conclure avec Louÿs, Willemetz, Honegger, Opéra Junior, et une note d'espoir: « Il n'y a pas loin du rêve à la réalité. »

Crédits photographiques: © Marc Ginot

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