Mêler des spirituals aux mélodies de Francis Poulenc et Olivier Messiaen est une démarche audacieuse que l'expérience en duo de Marie-Laure Garnier et Célia Oneto Bensaid marque de leur personnalité et de leur vision humaniste du monde.
A la première écoute de l'album « Songs of hope », on peut s'interroger sur la cohérence – et la pertinence – de cette première proposition discographique du duo piano-voix Célia Oneto Bensaid et Marie-Laure Garnier, pour laquelle les deux acolytes ont beaucoup réfléchi après une dizaine d'années de collaboration musicale sur scène. D'ailleurs, en concert, difficile d'imaginer la maîtrise d'une telle disparité musicale avec cette programmation musicale d'une exigence notable.
Pour mieux comprendre la démarche des deux artistes, il faut aller aux origines de leur réflexion, alimentée par le mouvement « Black Lives Matter » et l'impulsion de leur professeur au CNSM, Jeff Cohen, à intégrer dans leur répertoire « classique » des spirituals. Leur volonté : s'accorder avec la société métissée qu'elles représentent à elles deux, et accepter les différences dans le respect de chacun.
Finalement, ce n'est pas le mélange de spirituals et de mélodies de Francis Poulenc et Olivier Messiaen qui déroute, mais l'égalité donnée entre une chanteuse et une pianiste, que ce soit d'un point de vue marketing (superbes photographies de Capucine de Chocqueuse), mais surtout d'un point de vue musical où les deux musiciennes se complètent et apportent chacune une identité et une approche en synergie avec l'autre, au-delà des richesses poétiques et des couleurs foisonnantes de la mélodie française, ici du XXe siècle.
Ce qui interpelle encore, c'est le choix hybride de chants afro-américains initialement a capella, portés par des arrangements piano-voix de compositeurs « classiques » américains : Moses Hogan (1957-2003), Hall Johnson (1888-1970), Harry Thacker Burleigh (1866-1949) et Mark Hayes (1953). La voix de Marie-Laure Garnier leur donne une amplitude lyrique étonnante, marquée par un timbre chaud et une diction claire. Au clavier, Célia Oneto Bensaid joue à jeu égal par un toucher nerveux et des effets de couleurs variées et imagées.
Les mots. Ce sont eux qui apportent un lien entre les spirituals et la musique de Poulenc et Messiaen. Le livret de présentation nous aide à appréhender cette lecture plus précise de la démarche des deux artistes. D'une impression disparate, on arrive in fine à trois formes de spiritualité bien marquées qui se répondent puis se mêlent au fur et à mesure des écoutes du disque : empreinte de douleur et d'espoir des spirituals marqués par la vivacité et la rondeur du son des deux interprètes ; éprise de sentiments amoureux pour trois extraits des Poèmes pour Mi d'Olivier Messiaen, où la force émotionnelle et charnelle est à fleur de peau ; troublée par l'inquiétude de Francis Poulenc (Main dominée par le cœur, Nous avons fait la nuit) ou sa délicatesse (Priez pour paix, Les anges musiciens). Un disque peut être clivant, mais qui bouscule assurément.