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À Toulouse, Musique en Dialogue aux Carmélites met les mécènes à l’honneur

Cette année, la sixième saison du festival Musique en dialogue aux Carmélites s'intéressait aux mécènes des musiciens, ces financiers de l'ombre sans lesquels nombre de compositeurs n'auraient pas pu vivre, ni créer les chefs-d'œuvre qui nous ravissent et nous aident souvent à vivre.

Par un dimanche d'été torride, le premier concert-lecture est dédié à Marie-Louise Double de Saint-Lambert, comtesse , cette riche héritière marseillaise des Vermouth Noilly-Prat, qui jusqu'à sa disparition en 1974, consacra sa vie et sa fortune au soutien indéfectible de musiciens, danseurs et artistes. Dotée d'un caractère fantasque, mais d'une générosité absolue, elle se mit même en danger lors de la Seconde Guerre mondiale en protégeant, nourrissant et soignant des musiciens juifs menacés. C'est à cette époque qu'elle eut l'intuition du festival d'Aix en Provence et présida à sa mise en place dès 1947. Le narrateur de cette épopée n'est autre que le journaliste , auteur d'un ouvrage remarquable sur le personnage La Folie Pastré, la comtesse, la musique et la guerre (Grasset, 2021).

Avec beaucoup de finesse et d'humour, nous raconte la vie originale et mouvementée de cette « grande enfant qui distribua tout son argent pour la musique et qui n'eut qu'un seul grand amour, Mozart ». Chaque épisode ou anecdote de cette vie hors norme est ponctuée par une pièce musicale subtilement et parfois vigoureusement interprétée par la pianiste franco-lituanienne Mūza Rubackytė, qui chérit ces lieux.

À l'intensité du superbe Andante Cantabile de la Sonate K 330 de Mozart, répond la douceur du Clair de lune extrait de la suite Bergamasque de Debussy. Elle rend passionnément les sonorités d'orgue du rare Prélude n° 3 Pressentiment de , qui perdit son fils lors de la Première Guerre mondiale, alors que perdit son frère aîné au cours de la bataille de la Somme en 1916. On retrouve la fougue bien connue de Mūza Rubackytė dans l'Arabesque de Schumann, où l'inquiétude succède à la liberté, illustrant parfaitement le caractère de femme libre et passionnée dont était dotée la comtesse Pastré, tandis que la transparente clarté de la Sonate K 9 de Domenico Scarlatti illustre une autre face du personnage. Le côté passionné revient avec le romantisme absolu du Prélude en do mineur de Sergueï Rachmaninov auquel le jeu fulgurant de Mūza Rubackytė donne un aspect symphonique. Un récital de la pianiste sans serait impensable et elle rend justice avec grâce au lyrisme lumineux des Cloches de Genève extraites du premier cahier des Années de Pèlerinage. La musique n'exclue pas le drame et c'est le sens du Lied de Schubert Die Jungue Nonne, transcrit par Liszt avec génie. L'évocation s'achève par une exécution héroïque et noble de la célèbre Fantaisie en fa mineur op. 49 de Frédéric Chopin. La vie de la comtesse pourrait se résumer en cette phrase : « La musique chasse la haine de ceux qui sont sans amour, elle console ceux qui pleurent ».

Quatre centième anniversaire de la chapelle des Carmélites

Deux semaines plus tard, c'est l'écrin de la chapelle des Carmélites qui est à l'honneur pour le quatre-centième anniversaire de son édification. En effet, le 1er juillet 1622, le roi Louis XIII et Anne d'Autriche posaient la première pierre de ce joyaux baroque toulousain. Selon une constance bien connue de l'État, il s'était engagé à en financer la construction, mais ne tiendra pas sa promesse… Achevée en 1643, la chapelle est rehaussée d'un exceptionnel décor peint sur la voûte de bois, le revers de la façade, les pans brisés du chœur et les murs latéraux, que l'on doit aux maîtres toulousains Jean-Pierre Rivals (1625-1706) et Jean-Baptiste Despax (1710-1773). Cette parure lui vaut le surnom mérité de « petite Sixtine toulousaine ». Pour célébrer l'événement, l'ensemble -Orchestre baroque de Montauban était à la manœuvre pour un programme en deux parties embrassant les XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Consacrée à la période de la fondation, la première partie offre des airs de cour de Pierre Guédron, Cessez mortels de soupirer et Etienne Moulinié, Concert de différents oiseaux et Air de la Ridicule chantés avec grâce, finesse et élégance par la soprano . Sa voix souple et stylée, que nous connaissons bien, est parfaitement à l'aise dans les longues phrases de ces airs sophistiqués. Aux instruments seuls, , dont le chef utilise à plaisir une batterie de flûtes à bec, donnent vie aux musiques à danser en vogue depuis le règne d'Henri IV : le Ballet du Roy, dansé en 1622, le Ballet de la Merlaison, composé et dansé par Louis XIII lui-même en 1635 et le Ballet de Monsieur de Montmorency, probablement dansé en 1622. Il est à noter que ce favori de Louis XIII complota avec le frère du roi Gaston d'Orléans contre le cardinal de Richelieu, qui le fit condamner pour crime de lèse- majesté et il fut exécuté dans la cour du Capitole de Toulouse en 1632. Le récitant évoquait les circonstances de la création des ballets de cour selon un texte de l'universitaire Jack Thomas.

Monsieur de La Popelinière, mécène de Rameau

Quelques minutes d'entracte suffisent pour sauter un siècle et retrouver l'un des maîtres absolus de la musique française, le dijonnais et son mécène le financier Alexandre Jean Joseph Le Riche de la Popelinière.

D'après des textes de Denise Launay, Philippe Beaussant et Sylvie Bouissou, évoque de nombreux personnages hauts en couleur de cette première moitié du XVIIIᵉ siècle, à commencer par l'épouse du fermier général Thérèse des Hayes, proche des grands esprits du temps et élève particulièrement douée de Rameau. nous régalent avec un florilège des Pièces de clavecin en concert où Rameau déploie son génie harmonique et rythmique, dans ces élégants menuets, mais aussi la virtuose La Poplinière, l'effervescente Forqueray ou le joyeux Tambourins. Pour faire le lien avec les airs de cour, le concert s'achève par deux airs extraits de grands ouvrages lyriques de Rameau, Viens Hymen des Indes galantes et l'Amour est le dieu de la paix d'Anacréon. Au-delà de la virtuosité requise, montre une intensité expressive et un grand raffinement dans son chant. Aux dires de , cette première collaboration avec les Passions ne sera assurément pas la dernière.

Crédits photographiques : © Jean-Jacques Ader

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