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Les Musicales de Blanchardeau ont vingt ans

Après une année sans et une année inquiète, le public a repris le chemin de la musique de chambre tracé depuis deux décennies par un petit festival devenu, à en juger par les files d'attente contournant les églises costarmoricaines qui l'accueillent, un rendez-vous incontournable.

Le retour du

À Notre-Dame de Lanvollon, les Wanderer taillent dans le vif du sujet avec un programme exigeant, donné sans entracte. Entre la véhémence de l'opus 63 de Schumann, et l'agitation passionnée de l'opus 49 de Mendelssohn, le K. 548 de Mozart, avec son étreignant Andante cantabile, fait figure d'oasis. Tout coule de source entre les trois hommes, très peu démonstratifs, mais toujours puissamment musiciens, jusque dans leur manière de quitter chacune des œuvres en se levant de concert aussitôt la dernière note jouée, arrachant des bravi à une assistance dont tous les âges réunis font un triomphe égal à la très belle pièce de Lily Boulanger : D'un matin de printemps.

Envoûtant

Fêtant eux aussi leur vingt années d'existence, les Modigliani reproduisent le miracle de leur récente intégrale discographique des quatuors de Schubert. Dès le très inquiet Quartettsatz se détachent le violoncelle fiévreux de François Kieffer, le trait pur du violon d'Amaury Coeytaux, la subtilité des voix intermédiaires (Loïc Rio et Laurent Marfaing). Tout n'est que chant dans Rosamunde, transparence et technicité dans l'unique quatuor de Ravel. Un grand moment d'ethos tant schubertien que ravélien, rendu possible par l'acoustique de l'Église de Pléguien, laquelle n'est pas sans faire songer ce soir à celle de la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds où les Modigliani enregistrèrent pour partie le magnifique corpus à quatre d'un compositeur bien tôt disparu.

et : militants et complices

Dans l'intimité de l'incontournable Chapelle de Kermaria, on retrouve l'engagement prenant d'un duo qui nous avait enchanté en 2019. Le violon voilé de mélancolie de trouve matière à s'épanouir dans l'ardent adagio du méconnu K. 481 de Mozart. Autre indiscutable rencontre de la soirée, la Grande sonate n° 2 opus 121 que Schumann composa en cinq jours. Le péremptoire des premiers accords indique bien l'envie d'en découdre du compositeur avec une première sonate qui, bien que plus connue, l'avait insatisfait dès sa première exécution. La Rhapsodie n° 2 de Bartók, exécutée par un Fouchenneret semblant réincarné en violoneux de village, conclut ce concert militant qui vise à désacraliser dans la foulée le compositeur hongrois, artiste complexe et simple à la fois puisque son matériau mélodique, glané en ethnomusicologue dans la campagne, « vient de nous ». Mission d'autant plus accomplie qu'impressionne, par sa précision rythmique, le soutien sans faille du piano toujours très narratif de . Retour au calme avec le héros des trois compositeurs programmés : Bach et l'ineffable Largo de sa Sonate BWV 1016.


Cinéma mon amour
par

« Un décor hollywoodien pour la star du piano romantique », annonce Cornelia Lindenbaum-Desdoigts, présidente des Musicales : l'église de Pléguien, tapissée d'affiches de films, accueille pour « Au cinéma, ce soir », hommage à ses parents récemment disparus, qui lui ont transmis, concomitamment à la passion de la Musique, celle du Septième Art pour lequel il confesse avoir développé « une passion qui a pris des démesures totales ». D'autres confidences suivent (Hélène Grimaud disant non à Bergman, Luisada : « Moi, j'aurais dit oui ! »), sur le mode d'une complicité sincère ou amusée fort réjouissante (« Vladimir Kosma : du Satie en mieux ! »), au fil de résumés très personnels de films ayant fait appel à la musique des grands compositeurs : la Fantaisie en ré mineur de Mozart en plein western de John Huston ; le Brahms des Amants de Louis Malle passant en majesté du sextuor au Steinway du festival ; le Mahler que le cinéma ressuscita en 1971, retranscrit par la science d'Alexandre Tharaud. Malgré la fatigue, malgré la touffeur de la journée, fait sonner le somptueux registre grave de son instrument, s'adonne à l'ivresse technique (la Rhapsody in Blue qui magnifia le Manhattan de Woody Allen, la Valse Brillante qu'il arrache à la langueur hollywoodienne). La soirée, introduite par Nino Rota, se permet aussi d'autres clins d'œil (le jingle disparu du publicitaire Jean Mineur) avant de se conclure, au terme d'une kyrielle de bis, par la Valse en la mineur de Chopin, musique « la plus triste du monde », surtout en contrepoint du terrible Salò de Pasolini. Une soirée-fleuve (2h30 tout de même !) qui aura donné l'envie de voir ou revoir certains films (tel le Rendez-vous à Bray d'André Delvaux) et qu'on aurait suivie encore longtemps. Le virtuose était aussi un conteur.


Les quatre mains entremêlées d' et

Dès la Seguidilla à l'Alameda de Séville du très docte , le bras gauche de , immiscé entre les deux bras d', donne le la de l'osmose entre les deux artistes de Rêves d'Espagne, un programme entièrement dévolu à la fascination respective qu'entretinrent, au tournant des XIXe et XXe siècles, compositeurs français et espagnols, après l'avènement musical d'une certaine Carmen. L'un de clair vêtu, l'autre de sombre, à tour de rôle au premier plan, les deux pianistes déroulent la chronologie de leur disque paru en 2021. Hormis De Falla (deux danses de La Vida Breve), et Moszkowski (compositeur allemand, originaire de Pologne, vivant en France), les compositeurs élus sont français : Ravel (la version originale de sa Rhapsodie espagnole pour deux pianos, jouée sur un seul avec une complicité aussi nécessaire que diabolique), Fauré (Le pas espagnol qui referme sa Dolly) et surtout Chabrier (son España transcrit par Messager). De cet enchevêtrement de lignes toujours claires même quand les notes abondent (les glissandi fendent l'atmosphère, les aigus claquent, les graves affichent rondeur et présence), l'agilité digitale des interprètes ressort à chaque fois triomphante. Au cœur de cette déferlante espagnole déclinée sur une heure et demie, et frisant l'insouciance avec la récurrence de ses fondamentaux (la trinité habanera/fandango/ségeduille), on goûte le bienvenu mélancolique des Nouvelles danses espagnoles de .

20 ans d'âge : après avoir chanté à quatre mains certaine rengaine des sœurs Hill, Coppola et Billaut rappellent que, pour un festival, maintenir une telle longévité est tout sauf évident. , qui ont battu cet été leur record de fréquentation, prennent congé de leur public en annonçant qu'en 2023, une nouvelle page de leur histoire sera tournée avec l'ajout d'un sixième concert à leur programmation. Un vrai cadeau d'anniversaire !

Crédits photographiques :© Chantal Michel / Jacky Desdoigts

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