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À Genève, Olga Peretyatko entre par la grande porte

Franc et beau succès pour ce récital de la soprano remplaçant au pied levé Diana Damrau qui avait déclaré forfait à peine deux jours plus tôt.

Au bénéfice d'une subite annulation de son récital, Diana Damrau a laissé la place à la soprano russe qui ainsi foule la scène du Grand Théâtre de Genève pour la première fois de sa carrière. En sauvant la soirée du théâtre, permet au public genevois d'assister à un récital exemplaire et d'apprécier l'artiste que bien des théâtres lyriques s'arrachent.

En parfait accompagnateur, le pianiste allemand (dont on aime le fin toucher) s'inscrit dans la volonté subtile d'être au service de la chanteuse en lui proposant un soutien d'une grande finesse et d'une belle musicalité. Olga Peretyatko présente un récital bien construit embrassant une grande diversité de musiques. De Mozart à Tosti, en passant par Rachmaninov, Donizetti et quelques compositeurs brésiliens, c'est à un beau voyage musical que la soprano convie le public.

Ouvrant les feux avec « Non dir mi, idol mio » l'air d'Anna (et non d'Elvira comme signalé dans le programme !) du Don Giovanni de Mozart, on surprend la jeune femme avec un chant qui ne convainc guère. Déjà cet été au Festival de Verbier, le même rôle ne nous avait pas enthousiasmé. La voix nous avait semblé trop lourde pour le personnage et la soprano ne maîtrisait pas totalement les vocalises. En plus, ses aigus manquaient de justesse. Avec l'accompagnement d'un seul piano, ces imperfections apparaissent plus évidentes encore. On mettra ces légers inconvénients au crédit du trac ou de la nervosité que pouvait générer cette « prise de scène » nouvelle parce que dès son deuxième air, si de légers défauts de justesse des aigus persistent encore, on sent que la confiance dans l'instrument vocal fait son chemin. Ces quelques nuages se dissipent rapidement pour laisser place à ce que nous retenons avoir été les plus beaux moments de cette soirée.

Dans ces quatre mélodies de Sergueï Rachmaninov, Olga Peretyatko se révèle totalement. Est-ce l'intime compréhension des poèmes alliés à l'esprit russe de la musique ? Reste que la chanteuse offre une interprétation des plus touchantes de ces cantilènes amoureuses. Sa voix qui s'est quelque peu assombrie depuis les dernières fois que nous l'avons entendue lui confère une solidité harmonieuse. Dosant le volume, elle donne d'admirables reliefs à une langue qu'elle possède de nature. Le discours vocal est si bien dosé, le mot si bien prononcé qu'on en viendrait presque à comprendre cet idiome pour beaucoup inconnu. A près s'être absentée quelques minutes pour laisser à son pianiste le soin de nous montrer son extrême sensibilité avec une Élégie op. 3, n° 1, Olga Peretyatko reprend les deux dernières mélodies de Rachmaninov au programme. Si son Nié poï krasavitsa pro mnié, op. 4, n° 4 est un pur moment de bonheur musical, on a entendu de meilleures manières de chanter la fameuse Vocalise op. 34, no. 14. Il faut cependant relever qu'avec un accompagnement de piano, le soutien à la voix est moins solide qu'avec celui d'un orchestre. Le public l'a bien compris. Sous le ravissement de ces instants, il réserve à la jeune femme ses plus chaleureux applaudissements.

Dès lors, la suite du récital se déroule comme un charme. Si l'air « O luce di qu'est'anima » tiré de l'opéra Linda di Chamounix de Donizetti est d'une brillance exécutive impressionnante, on fond littéralement dans son interprétation de la berceuse Ninna nanna de Tosti où Olga Peretyatko se permet de terminer son chant en susurrant les paroles jusqu'au silence sans pour autant que les derniers accents soient inaudibles. Peut-être qu'au plus profond du dernier balcon, on n'a pas entendu cette dernière subtilité du chant de la soprano, mais le decrescendo était si progressif que l'effet aura été perçu par tous.

Dans sa deuxième incursion du bel canto, on ne peut qu'apprécier l'approche vocale de la soprano au personnage de Lucrezia Borgia dont elle chante l'air « Com'è bello !… Quale incanto ». Avec une voix qu'elle module à volonté, elle confère à son personnage une noblesse, une profondeur et une presque noirceur royale comme seules les plus grandes interprètes du rôle ont dessiné. Après quelques airs de deux compositeurs brésiliens peu connus dans nos régions, Olga Peretyatko termine son récital avec la « Villanelle » de la chanteuse et compositrice belge Eva Dell'Acqua, chantée avec beaucoup d'élégance.

Ovationnée, Olga Peretyatko offre en bis un « Summertime » de Gershwin, chanté malheureusement (et comme la majorité des chanteuses lyriques) sans l'esprit jazz qu'une telle œuvre demande, puis devant l'insistance du public, elle termine sa prestation avec l'air de Liù « Signore, ascolta…» tiré de Turandot de Puccini chanté avec une aisance vocale parfaite et un émouvant pianissimo de fin. Avec ce récital, Olga Peretyatko prouve qu'elle est dans la lignée des grandes interprètes.

Crédit photographique : © Daniil Rabovsky

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