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À La Chaux-de-Fonds, le lutrin de Sandrine Piau et le brio de Jean-François Verdier

L'un des concerts phare de la saison de la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds reste la venue de dans un récital de mélodies françaises. L' et l'accompagnent et se distinguent dans une Fantastique de Berlioz où ils font alterner le lyrique au tragique avec brio.

 

L' est une phalange que la soprano française semble particulièrement apprécier puisqu'il l'avait déjà portée vers l'excellence avec un disque que nos lignes avaient relevé (Clef d'or ResMusica). Modifiant quelque peu son programme en débutant avec les Quatre chansons françaises de Britten au lieu de l'extrait des Nuits d'Eté de Berlioz, la soprano française semble s'engager dans un tour de chauffe. Dans les Nuits de juin et Sagesse, elle offre une belle démonstration de sa voix toujours aussi prenante. Toutefois, (est-ce à cause du registre aigu de ces mélodies ?) sans l'apport des textes imprimés que les organisateurs ont distribué aux spectateurs, difficile de comprendre les mots des poèmes. Pourtant, l'orchestre se révèle d'une qualité musicale exceptionnelle, cherchant un accompagnement aussi discret qu'efficace, sans jamais couvrir la voix de la soprano, pour la porter avec de fines touches orchestrales. Plus tard, dans L'enfance, le poème tragique de Victor Hugo qui raconte l'insouciance de l'enfant jouant aux côtés de sa mère mourante, le chant de , quoique mélodieusement toujours beau, ne révèle aucunement le drame de ces lignes. Dans Le spectre de la rose, le seul chapitre des Nuits d'été de Berlioz que interprète, on sent la soprano un peu à court de souffle. Et c'est dans les admirables mélodies de Duparc, L'invitation au voyage et la Chanson triste qu'on mesure mieux ce qui semble retenir la chanteuse dans son expression artistique. Depuis le début de sa prestation, elle a le regard fixé sur son lutrin. Cette béquille la sépare du public, confine sa gestuelle, va même jusqu'à bloquer son langage corporel, ce mouvement des bras, cette élévation des mains qu'une sublime mélodie ne peut empêcher. Ainsi, a-t-on découvert, à l'ombre d'une peut-être méforme passagère, une Sandrine Piau manquant de grandeur, d'élévation, d'emphase. Non pas qu'elle n'ait pas chanté de manière accomplie, loin de là, mais dans son chant, rien n'était vraiment dit.

Si l' sous la direction de son chef se distingue par son à-propos musical d'accompagnateur, le chaland a hâte d'entendre cet orchestre, trop peu connu en Suisse, dans le déferlement exubérant de la Symphonie Fantastique d'. Dès les premières notes, on est surpris par la qualité musicale de cet ensemble, par sa capacité de jouer pianissimo sans qu'aucune des voix de l'orchestre ne soit absente. Dans le premier mouvement (Rêveries), emmène son orchestre dans un très subtil découpage de tableaux tous plus charmants les uns que les autres. Se prenant au jeu de cette promenade musicale, le chef en vient à se perdre parfois en chemin. Il se reprend enfin pour terminer ce mouvement sur des accents wagnériens du plus bel effet. Dans La Valse, la légèreté avec laquelle s'enclenche le bal est telle que bien des têtes de spectateurs dodelinent en rythme tant l'orchestre et son chef réussissent à nous entraîner dans la danse. Seul le tutti final nous ramène à la réalité des inévitables comparaisons entre les grands orchestres et les autres. Ici, les violons, par manque de son, grincent au lieu d'être puissants. On retrouve pourtant toute la musicalité de cet orchestre dans l'adagio de la Scène aux champs où son chef sait admirablement doser ses pupitres dans les dialogues des cordes, du hautbois, de la clarinette, du cor. Alternant le lyrique au tragique avec brio, en symbiose avec sa musique, Jean-François Verdier, avec une gestuelle harmonieuse, sait générer une tension intense. Entrecoupant brièvement ses scènes, pas un bruit ne parcourt le public. On entend les mouches marcher ! Admirable final, superbement envoyé par un dialogue magnifique entre un cor anglais superbe et des timbales habitées. Un grand moment ! La Marche au supplice restera l'un des plus beaux instants de cette interprétation. Avec des moyens orchestraux loin d'être ceux que la folie Berlioz demande pour cette symphonie, on pouvait se demander comment l'Orchestre Victor Hugo Franche-Comté allait pouvoir interpréter le déferlement sonore des deux derniers mouvement de cette œuvre. Là encore, Jean-François Verdier privilégie la musicalité au bruit en demandant chaleur aux cuivres au lieu de les faire résonner comme le feraient ceux d'une fanfare. Ainsi, il nous raconte d'autres ambiances avec une obsédante cloche d'église en premier plan plutôt que noyée dans la masse orchestrale. A noter, l'excellence de la partie du basson. Dans le Songe d'une nuit de sabbat, Jean-François Verdier fait ressortir admirablement l'esprit diabolique surgissant de la partition de Berlioz. Déjà avec Verdier, on entend les prémices de La Damnation de Faust.

Le public de connaisseurs de la cité horlogère réserve une acclamation méritée à ce magnifique ensemble et à la belle complicité de son chef.

Crédit photographique : Sandrine Piau © Société de Musique La Chaux de Fonds

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