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Nancy : commentaire de texte sur Tristan et Isolde

paraphrase sans convaincre le texte de . fait sa prise de rôle en Isolde au sein d'une belle distribution, portée par un orchestre flamboyant sous la direction subtile de .

 « Aujourd'hui, on visite un monde […] où personne ne sait parler, où tout le monde chante en allemand. C'est absurde ». Dès le trop long préambule (plus de 15 mn) qui précède le prélude et explicite son postulat, le metteur en scène et nouveau directeur du Festival d'Avignon donne le ton. Il y reviendra lors du duo d'amour au second acte. « Les personnes tristes ont besoin de beaucoup de musique […], d'énormément de mots, chantés en allemand pendant des heures. Rien que pour dire l'amour. ». Pour sa première mise en scène lyrique, semble trouver le genre opératique trop irréaliste et le poème de trop logorrhéique. Comme il en a l'habitude au théâtre, il se propose donc de revisiter le mythe. Deux danseurs-chorégraphes (les très inspirés Sofia Dias et Vitor Roriz) vont durant toute la représentation, y compris pour le préambule susnommé, se faire les « traducteurs » en manipulant et exhibant 947 cartons censés expliciter action et états d'âme et rendre plus accessible le texte du livret sans le sur-titrage habituel.

Le procédé suscite au prime abord l'intérêt par son originalité et la précision de sa réalisation scénique. Dans le beau décor de bibliothèque à trois niveaux de Fernando Ribeiro, sous les éclairages très travaillés de Rui Monteiro, Sofia Dias et Vitor Roriz sont parfaitement en phase avec le rythme de la musique. Mais leur agitation permanente, le caractère répétitif et systématique de leurs déambulations lassent rapidement. Leur chorégraphie double le plus souvent les chanteurs, cantonnés à des poses hiératiques, et n'interagit que peu avec eux. Le texte de Tiago Rodrigues, traduit en français par Thomas Resendes, abuse des mêmes formules (« l'homme triste » pour Tristan, « la femme triste » pour Isolde, « l'homme puissant » pour Marke etc.) et est trop prosaïque pour atteindre la puissance, l'universalité, la transcendance de l'original allemand. Au troisième acte, il se contentera simplement de le paraphraser.

Finalement, le principal intérêt du dispositif est de donner tout loisir au spectateur de se concentrer sur le chant et la musique sans être distrait par la lecture des surtitres. Et même sur le texte, pour qui pratique un peu l'allemand, car celui-ci est donné par presque tous avec une remarquable articulation. Mozartienne renommée, prend le risque d'aborder le lourd rôle d'Isolde en bénéficiant de la taille modeste de l'opéra de Nancy et de la direction jamais lourde ni tonitruante de . Les imprécations du premier acte, le début du duo d'amour au II la montrent à la limite de ses possibilités avec des aigus durcis et parfois plafonnants. Mais pour le reste, elle convainc par un chant vivant, contrasté, plein de nuances et d'intentions, à la ligne châtiée, au registre grave bien sonore quoique poitriné. Dommage que pour sa mort au troisième acte, elle se sente obligée de forcer alors que le tissu orchestral frémissant tendu par n'en demandait pas tant. En Tristan, va crescendo pour définitivement emporter l'adhésion au III, redoutable pour le ténor. Malgré quelques nasalités, toujours chantant et timbré même dans l'extrême aigu, constamment musical, il sait aussi détailler son texte, y réagir par la variété des intonations et des couleurs et y apporter une séduisante intensité.

La Brangäne d' peine un peu à adapter ses considérables moyens à la taille de la salle. Puissante et même impressionnante, sa voix profonde et riche mais assez monochrome se fait incantatoire. Chantés dos au public et face au décor, ses appels au second acte retrouvent avec bonheur l'équilibre sonore avec l'orchestre. Trop plébéien et grinçant aux deux premiers actes (le timbre d'un Alberich), en Kurwenal se rachète quelque peu au III, plus homogène de registres, plus rond de timbre, plus sonore dans l'aigu, sans jamais quitter le chef des yeux. Le somptueux Roi Marke de fait valoir un timbre magnifique aux graves telluriques, une puissance presque surdimensionnée, une diction soignée mais suscite peu l'émotion. Le très lyrique Marin et Pâtre d'Alexander Robin Baker, le Melot plus falot de Peter Brathwaite et la courte apparition en Timonier de Yong Kim complètent avec efficacité cette distribution un tantinet déséquilibrée.

Du côté de la fosse en revanche, la satisfaction est totale. L'Orchestre de l'Opéra de Lorraine se hisse à la hauteur de l'enjeu, rutilant de couleurs, irréprochable d'homogénéité et d'ampleur. Les cordes se font soyeuses, les bois caracolent en majesté (le hautbois et la clarinette d'une intense poésie au duo du II, la nostalgie du cor anglais au début du III), les vents placés dans les loges latérales élargissent avec bonheur l'espace sonore. Placé lui aussi dans les loges ou en arrière-scène, le Chœur de l'Opéra de Lorraine parvient néanmoins à se faire entendre. Énergique et précise, la direction de Leo Hussain soigne les atmosphères, sait se faire retenue ou incandescente sans jamais exagérer, toujours équilibrée, toujours en phase avec le plateau et toujours juste. Une brillante réussite. C'est avec une ovation que le public accueille l'ensemble de la distribution, réservant ses applaudissements les plus nourris à , au chef et à l'orchestre plus quelques huées éparses pour les deux danseurs-chorégraphes visant à travers eux la mise en scène diversement appréciée.

Crédits photographiques : (Isolde), (Tristan) / en bas Vitor Roriz et Sofia Dias (danseurs-chorégraphes), au milieu  (Brangäne) et Dorothea Röschmann (Isolde), en haut Alexander Robin Baker (le jeune Marin) © Jean-Louis Fernandez

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