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Le Coeur au bord des lèvres : Dea Liane et Asmahan, divas du monde arabe

« Où sont les divas du monde arabe ? » questionnait récemment, non sans émotion contenue, Sophia Aram, l'humoriste. , l'actrice, répond dans Le Coeur au bord des lèvres (/Variation), un spectacle musical qui est aussi une leçon d'histoire.


Bien qu'encore très jeune, impressionne. Cléopâtre de théâtre, fiancée de L'Homme qui vendit sa peau au cinéma, la voici se glissant avec aplomb dans celle d'Amal El Atrache. Sœur de l'auteur-compositeur-interprète Farid El Atrache, Amal fut une de ces divas du monde arabe sous le pseudonyme d'. Disparue dans un accident de voiture inexpliqué, dont les tenants n'évacuent pas la thèse de l'assassinat, la rivale d'Oum Khalthoum laisse une poignée de chansons, deux films et une réputation de femme libre qui fascine par-delà les décennies. Née sur les flots de la Méditerranée au cours d'un voyage en paquebot entre Athènes et Beyrouth, engloutie par les flots du Nil à 27 ans, ou à 32 : une biographie qui a tout d'une légende.

partage avec des origines libano-syriennes, des racines familiales liées à celles de la famille El Atrache, un même talent vocal, ainsi qu'une évidente ressemblance. L'actrice d'aujourd'hui ramenant à la vie la chanteuse de naguère, Le Cœur au bord des lèvres fait dialoguer parole et musique. A cour, un piano pour l'accompagnement de quelques titres du répertoire d'Asmahan, mais aussi pour quelques notes questionnant la tentation occidentale de cette musique orientale. A jardin une loge de théâtre avec portant, table de maquillage (on y aperçoit le roman graphique de Lamia Ziadé Ô nuit, Ô mes yeux, ainsi que le nécessaire Éloge du risque d'Anne Dufourmantel), pour une métamorphose qui s'apparente à une réincarnation. Entre les deux, un écran pour les images d'archives, et la vidéo tournée en direct, qui joue jusqu'au vertige de la ressemblance entre les deux femmes.

Maquillage, serre-tête dans les cheveux, tailleur près du corps, bijoux, lunettes fumées, cigarette à la main : 1H15 durant (le spectacle paraît terriblement court), Dea Liane est Dea Liane d'aujourd'hui écoutant Asmahan dans une interview posthume fictive diffusée, avec de prégnants craquements de 78 tours, depuis un transistor ; puis Dea Liane est Asmahan avant sa mort en 1944. Un quasi-seule en scène veillé par la présence de , pianiste sensible, et, sous le fez, factotum occasionnel. Sous-titré Asmahan/Variation, Le Cœur au bord des lèvres se veut, comme dans la musique arabe, ainsi que dans toute une tradition du baroque occidentale, une variation autour d'un thème. C'est nourri d'une double leçon de vie et d'histoire sans mélodramatisme excessif ni militantisme asséné que le spectateur quitte ce spectacle subtil et étreignant, en rêvant déjà de ce que le cinéma, avec Dea Liane, pourrait gagner à retracer le destin en tous points exceptionnel d'Asmahan.

« A chaque mot que nous chantons nous avons le cœur au bord des lèvres», chantait Asmahan en jouant sa vie. Sur la très brève dernière archive on a tout juste le temps de reconnaître Dea Liane enfant face à la mer. La fillette possède déjà le regard qu'elle plonge aujourd'hui les yeux dans les yeux de son public. L'enfant qui a grandi referme enfin, de la plus belle en même temps que la plus terrible des façons, son évocation rêvée de cet âge d'or du monde arabe, avec l'audace d'une conclusion qui agit comme un onguent sur l'inquiétude d'un aujourd'hui frileux et divisé quant à la liberté de penser, d'agir, et même de se vêtir: « C'était avant les dictateurs, avant le voile, …»

Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez

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