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Gregory Kunde et Sarah Aristidou, deux étoiles pour Ariane à Naxos à Dresde

Il faut passer sur une mise en scène banale et une Ariane décevante pour profiter de deux grands artistes qui magnifient leurs rôles.


La représentation n'était pas une première, mais elle est tout de même pleine de débuts en tout genre : , et font leurs débuts sur la scène de la Semperoper, tandis que pas moins de neuf chanteurs font leurs débuts dans leurs rôles respectifs. L'un de ces débuts retient l'attention, celui de en Bacchus : le rôle est certes court, mais il est notoirement terrible, et, à 68 ans, Kunde est sans doute le ténor le plus âgé à avoir abordé le rôle. Le pari est donc audacieux, mais le résultat montre qu'il a eu raison de faire confiance à ses capacités : une ou deux phrases sont un peu plus difficiles, mais on entend dans l'ensemble un vrai ténor héroïque, qui ne donne pas l'impression de s'économiser, travaille le texte, reste précis et musical. Le travail sur les couleurs pourrait, idéalement, aller plus loin, mais les nuances qu'il offre en matière de dynamique sont une vraie leçon de chant.

Hélas, son Ariane, , est très loin de cette performance. Ses premières phrases dans l'opéra sont détimbrées, gutturales, et cette tendance se retrouve tout au long de la soirée ; le texte, lui, est constamment inintelligible, et elle peine beaucoup plus que Kunde à rester en rythme : on en tire une constante impression de flottement, que la beauté incontestable du timbre ne vient que partiellement compenser. C'est le défaut des reprises dans les théâtres de répertoire : le temps de répétition réduit favorise les décalages entre fosse et scène et Hunold n'est pas la seule en difficulté – les ensembles de commedia dell'arte en souffrent aussi beaucoup, entre autres. La direction de ne facilite pas la tâche aux chanteurs : ils ne semblent pas se sentir en sécurité, et il joue souvent fort, au risque de les couvrir. Qui plus est, il choisit des tempi rapides, qui bousculent la conversation du prologue (l'envolée finale, par comparaison, paraît soudain molle) et ne démontrent pas leur pertinence.

Heureusement, certains chanteurs s'en sortent mieux : est efficace et musicale en Compositeur, les trois nymphes forment un ensemble particulièrement harmonieux ; la vraie merveille de la soirée, cependant, c'est Zerbinetta, interprétée par , qui a beaucoup chanté de musique contemporaine, mais démontre ici qu'elle peut aborder bien d'autres répertoires. Ses toutes premières phrases peuvent laisser perplexes, parce que le volume de la voix n'est pas bien grand ; mais sa projection compense cette limite et elle se trouve rarement couverte par l'orchestre. Son air est un vrai feu d'artifice d'intelligence, d'humour et d'émotion, servis par une diction parfaite et très présente. La virtuosité est parfaite mais ne prend pas la peine de s'étaler, et elle est suffisamment musicienne pour s'accommoder des approximations de la fosse : une vraie fête.

Coproduite par l'Opéra de Nancy (où elle a été créée en 2017), la mise en scène de est au contraire singulièrement paresseuse ; peut-être avait-elle, lors de ses premières présentations, une direction d'acteurs un peu plus ambitieuse, mais cela ne change pas grand-chose à sa vacuité conceptuelle. Un mur blanc et trois portes pour le prologue, une scène divisée en deux entre cadre pastoral de la commedia dell'arte à gauche et marbre noir de la tragédie antique à droite. On a bien vu dans le prologue comment les trois portes étaient supposées être des passages intrigants vers d'autres univers, et comment Hermann joue sur la présence et l'absence des personnages ; on a bien vu le décalage qu'il veut créer entre les deux univers de l'opéra, on a bien vu la place du mécène et de ses invités, dans le foyer avant le spectacle et dans une loge d'avant-scène pendant l'opéra : tout cela est bel et bon, mais ce n'est qu'une illustration de ce que l'opéra dit plus subtilement, avec plus de complexité.

Crédits photographiques : © Semperoper Dresden/Ludwig Olah (distribution de 2018)

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