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Leonard Slatkin : un Américain à Dublin

Deux compositrices et deux compositeurs dans la prenante acoustique du National Concert Hall de Dublin pour un programme autour de l'Amérique dirigé par , actuel chef du Detroit Symphony Orchestra.

a cumulé les fonctions (Orchestres de La Nouvelle Orléans, Saint-Louis, Washington, BBC), les distinctions honorifiques, les invitations à l'international. L'ex-directeur musical de l'Orchestre National de Lyon (de 2011 à 2017) est un des nombreux invités de la copieuse saison du National Symphony Orchestra (RTÉ National Symphony Orchestra) : trente-cinq concerts dont neuf sous la baguette de Jaime Martin, son directeur musical depuis 2019.

Made in America, de , pourrait faire figure d'intitulé de la soirée. La compositrice américaine, née en 1938, a créé en 2005 cette pièce d'un petit quart d'heure à la demande de soixante-cinq orchestres aux budgets réduits. Marquée par neuf années d'enfance passées au Pérou, entend magnifier, à son retour dans le pays de l'Oncle Sam, la beauté de la nation qui l'a vue naître. Elle fait de la chanson America is beautiful le fil conducteur d'une composition qui capte immédiatement l'attention par sa science orchestrale, ses élans motoristes, ses dissonances sporadiques, son irrépressible énergie, ses diverses percées solistiques (les touchants accents du cor, de la flûte), sa marche du silence vers le péremptoire. Pour l'avoir enregistrée en 2010 (CD Naxos) à la tête du Nashville Orchestra, Slatkin est l'ambassadeur idoine, auprès des excellents musiciens dublinois, de cette partition d'un classicisme presque européen.

Née en 1953, (Madame Slatkin) a fait le voyage et goûte aux applaudissements qui accueillent son émouvant Adagio pour Orchestre à cordes adapté dans la foulée de la tragédie du 11 septembre 2001 de son Agnus Dei pour orgue de 1998. Cette déploration de treize minutes, tanguant entre le tonal et l'atonal, et préférant, plutôt que la visée d'un tube à la Barber, l'assise du Polish Requiem de Kzrysztof Penderecki (dont une mélodie finit par surgir intégralement aux trois-quarts de l'œuvre), teinte ses dernières mesures d'une percée lumineuse.

Dans la foulée, Slatkin donne une exécution galvanisante de la Suite Symphonique On the Waterfront, dans laquelle réunit en vingt minutes les moments-phares de la musique implacable qu'il avait composée pour le film éponyme d'Elia Kazan. Entre l'introduction du cor solo, les moments suspendus des cordes tendues par les clusters avant d'être hachés par les déchaînements percussifs, on frémit aux prémices du grand-œuvre à venir : West Side Story. On partagerait volontiers le rapprochement osé par le biographe de Bernstein (Humphrey Bolton), entre ce On the waterfront et le Roméo et Juliette de Tchaïkovski, en terme de durée, de tension et de lyrisme éperdu.

Un entracte substantiel permet de se préparer au monument de virtuosité du Concerto pour piano n°3 de , créé à New York en 1909, par le compositeur lui-même au clavier. Nul ne peut soupçonner à l'écoute de son accroche tranquille, exécutée avec grâce par (premier Prix, à 17 ans, du Concours Rachmaninov), le parcours du combattant auquel va s'adonner durant près de cinquante minutes, la pianiste russe. Cette forêt pianistique n'a de cesse de perdre son auditeur d'un affect à l'autre, et il faut se résoudre à rendre les armes face à une unité dramaturgique toujours se dérobant, et décider de s'abandonner au jeu pur. est très à l'aise dans les exercices d'endurance des traits, les syncopes du mitan de l'Allegro ma non tanto, les scansions à répétitions. Quasi-invisible derrière l'abattant du piano, comme s'il avait voulu laisser toute la place à sa soliste, Slatkin détaille le surgissement des fragrances orchestrale, tout en révélant les entêtantes couleurs de l'orchestre. Le Finale – alla breve et son catalogue de fausses fins va crescendo jusqu'à une conclusion ahurissante qui conduit dans la foulée la totalité du public à délaisser la station assise, pour clamer des minutes entières son admiration longtemps contenue. Un Prélude n°2 de Rachmaninov suivi d'un long silence avec bras en apesanteur sur l'extinction de la dernière note, la pirouette d'un Vol du bourdon de Rimsky-Korsakov conclu avec malice : c'est sur ce constat d'un art sûr de ses effets que l'on quitte un concert dont l'on aime à penser, vu l'âge des auditeurs, qu'il a dû susciter quelques vocations.

Crédits photographiques : © / Chrislee

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