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Carmen Circus à Toulon

A Toulon, Carmen est transportée au cirque par , mais c'est la Micaëla d'Adriana González qui domine une distribution d'excellente facture et un orchestre et des chœurs galvanisés par .


Même enfermée dans un cirque par son metteur en scène, Carmen fait toujours le plein. Quelle revanche pour celle que le critique du Siècle, au lendemain de la création en 1875, voulait « bâillonner… enfermer dans une camisole de force après l'avoir rafraîchie d'un pot à eau versée sur sa tête » ! Près de 150 ans après, l'Opéra de Toulon clôt sa saison lyrique (comme l'Opéra Comique à Paris) en parvenant à rassembler toutes les générations autour de l'héroïne lyrique la plus célèbre de la planète. Musicalement la fête est au rendez-vous. Prix Puccini en 2013, galvanise un orchestre, un chœur maison en pleine forme, une maîtrise sensationnelle de précision comme de puissance (une des gardes montantes les plus musicales entendues). Partition intégrale avec dialogues parlés. Le plaisir musical est total, le jeune chef italien cochant toutes les cases (lyrisme subtil, dramatisme intense, maîtrise des scènes d'ensemble) du seul opéra dont l'on peut de A à Z mémoriser paroles et musique.

Excellente facture également d'une distribution dominée par la Micaëla grand format d'Adriana González, la soprano offrant à l'oie blanche de Bizet, à défaut d'une pleine intelligibilité, son émission puccinienne, ses aigus filés, le volume d'un souffle qui semble inépuisable (l'ultime note très longuement tenue de Je dis que rien ne m'épouvante). Don José américain à la prononciation d'emblée exotique, s'affirme au fil de ses interventions. La fleur que tu m'avais jetée devient ainsi le portrait, progressivement assumé, d'un jeune homme devenu adulte. Le duo final, les derniers mots, d'un absolu déchirement, achèvent de convaincre. L'Escamillo très sûr (de lui) de  obtient un succès pleinement mérité. Bizet a doté les rôles secondaires de merveilleux ensembles. Le Quintette fait merveille mais plus encore l'irrésistible Quant au douanier, c'est notre affaire, envoyé, au sein d'un chœur roboratif par un quatuor très harmonieux : les oreilles sont vraiment choyées par la Frasquita aux aigus piquants d', la Mercédès très présente et très joueuse d', leurs deux compères (le Dancaïre de , le Remendado de ) n'étant pas en reste. en Zuniga et Robert Dol en Moralès ne déméritent pas davantage. revient à Carmen, un rôle qu'elle connaît bien: on retrouve les couleurs sombres d'une opulence vocale (assez proche de celle de sa consœur, Aude Estremo) que l'on avait appréhendée dans la Carmen que Montpellier avait envoyée dans l'espace.

A Lyon, en 2012,   Olivier Py avait enfermé Carmen dans une boîte de nuit dont le génial Pierre-André Weitz nous faisait visiter chaque recoin. A Toulon, c'est au cirque que le metteur en scène allemand a décidé de faire passer Carmen du statut de bohémienne à celui de saltimbanque. Au cas où l'on aurait pu en douter, une enseigne lumineuse affiche au faîte de son décor déjà très Piste aux Etoiles : Circus. Le spectateur d'opéra, enfant gâté par l'imagination des metteurs en scène d'aujourd'hui, salive à l'idée de voir ce que la métaphore circassienne va apporter à la femme libre de Bizet. La réponse sera : rien. Pourtant, avant que n'ait retenti la première note, les applaudissements auront commencé, galvanisés par un numéro dansé de fandango mené tambour battant (impressionnante osmose de mains frappées et de talons claquants) par dix danseurs costumés à l'espagnole. Le célèbre Prélude aura fait son plein effet tandis qu'une pluie de sable rouge sera spectaculairement tombée des cintres et qu'une pantomime intrigante aura montré une jeune femme environnée d'enfants peu à peu plongés par elle dans le sommeil (ou la mort ?) après leur avoir retiré leurs masques de taureaux blancs. C'est elle qui aura apporté la fleur que Carmen aura jeté plus loin à José. Alors qu'on attendait beaucoup de cette figure muette et énigmatique, on l'aura progressivement perdue de vue, en même temps que se sera définitivement éloigné l'espoir d'assister à un spectacle qui aurait pu faire date. Au-delà de son énergique introduction, la Carmen de Brockhaus nous aura alléché pour rien, sa mise en scène, une des plus traditionnelles jamais vues, étant même constamment contredite par l'incongruité de sa scénographie. Moralès a beau arriver en Jeep, José en scooter et Carmen à dos d'éléphant, on regarde d'un œil de plus en plus soupçonneux le décor unique de ce cirque qui n'a d'autre ambition que d'engluer son spectateur dans l'affichage de sa pseudo-modernité : ne servent à rien son arène sans gradins (l'hémicycle en arrière-plan est occupé par des tables de maquillages, une coursive range-choristes), ses numéros dont l'on se demande à qui ils s'adressent, avec ses cartons distanciels (Habanera, Entracte, Récitatif et air….) brandis sans logique par une femme-sandwich, ses danseurs envahissants dont la mission se révèle réduite à rappeler à l'auditeur sous l'emprise de la fabuleuse partition, que, contrairement à ce que les personnages chantent, l'on est au cirque. Beaucoup de cirque pour rien, donc, que cette Carmen qui aurait pu indifféremment se jouer dans un restaurant, un supermarché, une pharmacie… Le Rigoletto de Philip Stölzl pour Bregenz était une réussite magistrale. Celui de Carsen pour Aix avait montré les limites du procédé. La Carmen de Brockhaus pour Toulon entérine le constat que délocaliser l'opéra au cirque, si l'on n'a pas de génie, peut être la plus mauvaise idée qui soit.

Crédits photographiques : © Frédéric Stephan

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