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Entre l’original et la transcomposition avec Johannes Schöllhorn

Ce double album bastille musique réunit musique de chambre et pièces d'orchestre de , proposant également des instrumentations et « transcompositions » du compositeur allemand au côté d'œuvres originales.

On se souvient de ses Anamorphoses pour ensemble, huit mouvements d'après l'Art de la fugue de J.S. Bach. Schöllhorn aime revisiter les œuvres du passé : « […] je pense qu'il est important de garder à l'esprit que nous venons tous de quelque part », confie-t-il à Sebastian Solte, fondateur et directeur du label bastille musique. Dans le mot « transcomposition » (celui du musicologue et journaliste Björn Gottstein pour parler de « musique sur la musique »), Schöllhorn retient le préfixe trans qui met l'accent sur les éléments compositionnels et interactifs de l'écriture plutôt que sur la source originale.

En témoignent ses Sérigraphies (2007-2016), cinq pièces pour six instruments (dirigées par ) d'après Gabriel Fauré qui débutent l'enregistrement, où l'on retrouve les genres de prédilection du compositeur français : nocturne, barcarolle et préludes : musique de l'épure, au tempo ralenti et comme engourdi, qui oscille lentement, qui tinte dans le brouillard, avec du souffle dans le son (Nocturne). La Barcarolle est plus fluide (vibraphone et piano très actifs) mais tout aussi fragile. La clarinette soyeuse donne un peu de chair à cette musique comme immergée qui semble remonter lentement à la surface. Vif, le premier prélude glisse et patine ; la pulsation est maintenue dans le deuxième, jouant sur les relais de timbres quand le dernier, superbe, fait poindre la clarinette basse suivie comme son ombre par ses partenaires (ceux du Zafraan Ensemble) aux sonorités feutrées.

Under one's breath (« Sous son souffle ») pour flûte, alto et harpe (1996), est un double hommage à Debussy (Sonate de 1915 et Études) et regarde vers Ligeti et ses textures polyrythmiques : musique d'os à laquelle les voix des instrumentistes (Zafraan Ensemble très engagés) apporte un peu de chaleur ; le matériau est a minima et le son toujours filtré, frémissant, sorte d'arte povera dont les motifs tournent volontiers en boucle. Délicatesse et mystère sont entretenus par les trois instrumentistes. Épure de l'épure (une minute et dix secondes!), Hommage à Ravel passe par le violon et le violoncelle et une brève citation, non pas de la Sonate de 1920 mais du Concerto pour piano en sol majeur ! J.S. Bach est également convoqué dans Conductus, une pièce pour clarinette, violon, violoncelle et piano, autre « trancomposition », entre dessiccation et humour, du Trio BWV 584 du Cantor.

La sonorité est éraillée (sons harmoniques et fragiles), le discours morcelé et le ton litanique dans grisaille (2013) pour violoncelle seul (Martin Smith) où le pouvoir d'envoûtement opère. L'humour voire la chorégraphie de gestes animent Oréade (2009) – une nymphe des montagnes dans la mythologie grecque – lorsque le violon agile autant que discret (Emmanuelle Bernard) modifie sa trajectoire en mode glissando à chaque manifestation bruyante du piano (Clemens Hund-Göschel) ; les deux instruments sont solidaires, le timbre du violon soyeux et toujours légèrement filtré. Théâtre de sons, Tango en blanc et gris et noir (2008) qui clôt le premier CD ne dure qu'une minute et se joue avec les mains et les pieds!

Des références littéraires autant que musicales émaillent les pièces relativement récentes (2013 à 2018) du CD 2 dédié à l'orchestre. éste que ves (2016) est inspiré par un poème de Sœur Juana Inés de la Cruz, nonne mexicaine du XVIIᵉ siècle. Ménageant de forts contrastes, la musique n'en est pas moins privée de dramaturgie, évoluant entre plages statiques habitées de souffles étranges et surgissements musclés restitués dans leur plénitude par le WDR Sinfonieorchester sous la direction de . Dämmerung-Schmetterlinge (2013) emprunte son titre à un recueil de Jean Paul, écrivain romantique allemand. Superbement interprétée par le et , l'œuvre enchaîne cinq bagatelles de caractère et d'allure différents où l'imagination de cet orchestrateur virtuose est à l'œuvre.

La proximité avec les peintres expressionnistes abstraits et l'esthétique de l'Américain Morton Feldman est patente dans à Moscou où Schöllhorn procède par aplats de couleurs sans perspective dramatique, dans un temps lisse qu'il étire à l'envi. Quelques gestes inattendus rompent la quiétude de cette « ballade tranquille » interprétée par le Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz sous la direction de .

Le dépouillement et la distance qui s'observent chez Satie ne pouvaient qu'attirer notre compositeur décidément très à l'écoute de la musique française. Schöllhorn se penche sur le Ballet chrétien Uspud (1892) du maître d'Arcueil, qu'il réorchestre. « Uspud est extrêmement a-rhétorique… c'est une tentative de renforcer la propre dramaturgie inexistante de Satie », souligne-t-il dans la notice du CD. Il dit également s'être inspiré de l'orchestre de Socrate, drame symphonique pour une voix et un orchestre de Satie dans ce projet qui inclut un accordéon et un pupitre de percussions très actif. Le discours cloisonné juxtapose des séquences orchestrales tout en contrastes : plénitude du tutti, fanfare éclatante des cuivres ou séquences plus grises sur les sons tenus de l'accordéon brouillant les hauteurs et les contours. Le travail est tout en finesse et en subtilité, laissant apprécier la singularité des alliages de timbres et une jouissance du son dans toutes ses composantes. A-chorégraphique et in-dansable, le ballet ne sera jamais monté sur scène! est à la tête du WDR Sinfonieorchester pour nous faire découvrir ces nouvelles couleurs de Uspud.

« Musique sur la musique », so well below, Variation sur « Here the deities approve » d'Henry Purcell qui referme le CD 2 sous la conduite de est un bijou délicatement ciselé d'une minute seulement, emblématique de la transcomposition défendue par Schöllhorn.

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