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Dominique Brun, un concert de danse en hommage à Erik Satie

Dans sa nouvelle création pour les Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis, la chorégraphe propose une réinterprétation des œuvres musicales d' composées pour la danse. Elle en fait un concert de danse délicieux et moderne nourri d'une grande érudition et de recherches patientes sur l'histoire de la danse.

Danse de travers et musiques à fuir ! Quelle drôle de titre pour ce merveilleux petit spectacle qui donne à voir un répertoire parfois méconnu et souvent oublié. Ce programme, qui doit son nom à , rassemble plusieurs pièces courtes, d'une durée d'une minute 30 à 12 minutes, choisies principalement parmi les œuvres qu'il a composées pour la danse. C'est une formidable occasion de redécouvrir des morceaux entiers d'un répertoire chorégraphique délaissé. Cette sélection de solos commence avec la Gnossienne n°4 composée par en 1891 et interprétéee au piano par Jérôme Granjon. C'est , chorégraphe américain, qui l'a dansé en 1919. Cette Gnossienne s'inspirait des figures peintes sur les vases minoens. , qui est d'abord une chercheuse en danse, s'est inspirée de cette photographie qui le montre, vêtu d'un costume de prêtre de l'ancienne Crête, et a assemblé ses postures pour en faire une danse aux motifs géométriques.

Changement d'atmosphère avec La belle excentrique, suite de danses pour petit orchestre composée par Erik Satie qui a été créé au Théâtre du Colisée à Paris en juin 1921. C'est la danseuse Caryathis qui est à l'origine de ce projet. Jean Cocteau, la surnomme alors La belle excentrique, et Erik Satie utilise ce surnom pour en faire le titre de son œuvre qui rassemble trois danses dont la dernière est un « cancan grand mondain ». On dirait en effet que la poule et le cancan sont les principales inspirations de ce solo débridé et loufoque. Comme la Goulue, célèbre figure chère à Toulouse-Lautrec, la danseuse se tient pied à la main et plume dans le dos, évoquant ces figures de cabaret de la Belle Époque, avec humour et impertinence. Chignon vissé au sommet du crâne, elle fait sauter un chien imaginaire et enchaîne les figures du cancan avec ou sans la jupe emblématique. Idéal pour bien décortiquer les pas !
nous dévoile alors ses talents de chanteuse en interprétant « Je te veux », la célèbre valse chantée composé par Erik Satie en 1897, et publiée trois ans plus tard sous le titre Les danses de Erik Satie. Les paroles sont signés Henry Pacory. Valse lente chantée au music-hall, cette célèbre chanson donne lieu à un moment très émouvant, sincère et authentique, par une voix de chanteuse non professionnelle qui nous bouleverse et nous fait remonter le temps.

Un beau et grand singe empaillé est l'une des neuf saynètes théâtrales qu'Erik Satie a écrites pour Les sept toutes petites danses. Le singe, avec sa longue queue noire est l'un des nombreux animaux qui peuplent l'univers de Satie. Sa musique facétieuse et ludique se prête à cette évocation animalière et légère. Place ensuite au cheval très circassien qui joue aux chaises musicales. Il se trouve à la croisée de celui imaginé par Erik Satie pour sa composition intitulée Un habit de cheval et celui chorégraphié par Léonie Massine pour Parade. Il semble dressé comme pour un exercice de la Haute école ou du Cadre noir de Saumur et enchaîne voltiges, ruades et cavalcades avec un grand réalisme et un indéniable talent circassien.

Dominique Brun nourrit également ses créations d'autres compositeurs comme , dont elle reprend Amores composé en 1936, puis révisé, et créé à New York en 1943. La partie 1 est un solo pour piano préparé. Cette préparation comprend neuf vis, huit boulons, deux écrous et trois bandes de caoutchouc qui sont patiemment installés par l'ensemble de l'équipe, avant d'être joué par Sandrine Legrand. Le solo qui suit fait un pont entre Nijinsky et Cunningham sur cette musique de . C'est Totem Ancestors, dansé en académique à entrelacs, créé à New York en 1943. La musique de a été composé après la danse, elle suit le phrasé chorégraphique. C'est la partition Laban de Léna Belloc qui a permis à Dominique Brun de réinterpréter cette danse et de la transmettre à Clément Lecigne. Le spectacle continue avec une suite pour piano jouet, composée par John Cage en 1948. On croit voir Satie assis en queue-de-pie devant son pianola dans le personnage interprété par Roméo Agid.

Une baigneuse typique des années 20 entre alors en scène sur une musique symphonique enregistrée pour Aerodanse. Avec son maillot doré, elle évoque la danseuse futuriste qui crée ses aérodanses (Danza aerofuturista) à la Galleria Pesaro de Milan en 1931. Pour réinventer la danse, Dominique Brun est partie d'une douzaine de photographies de , qui figuraient à l'exposition Elles font l'abstraction au centre Georges Pompidou. La musique est signée et laisse entendre des sirènes que les musiciens futuristes italiens intégraient avec d'autres bruits à l'orchestre. Serge Diaghilev, directeur des Ballets Russes insistait pour que les sirènes figurent dans Parade, afin d'ajouter à sa modernité cubiste, celle des futuristes.

Il y a aussi des machines à écrire dans Parade créée par Erik Satie et au Théâtre du Châtelet le 18 mai 1917. La danse s'appuie ici sur la version que Leonide Massine chorégraphie en 1976, pour le Joffrey Ballet aux États-Unis. Deux numéros, le prestidigitateur chinois et la petite Américaine, sont ici reproduits par les danseurs Clément Lecigne et Marie Orts, le tout au piano à quatre mains et avec les bruitages, sirène d'alarme, machine à écrire ou pistolet.

Danses de travers et musiques à fuir ! est un shot revigorant de répertoire chorégraphique, réinventé et mélangé avec audace et bienveillance. Mais même pour qui ne connaît aucun de ces compositeurs ou chorégraphes, et n'a aucune idée de ces histoires de danse, c'est un spectacle plein de surprises et de charme qui fait mouche !

Photo : © DR

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