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À Aix-en-Provence : Tcherniakov emmène Mozart chez les échangistes !

Così fan tutte revient à Aix-en-Provence dans la mise en scène décapante et absconse de , heureusement sauvé par une distribution vocale aguerrie.

La première apparition de Così fan tutte à Aix date de 1948, première édition du festival Mozart qui deviendra l'année suivante le Festival International d'Art lyrique ; dix productions de ce même opéra vont s'y succéder avant cette dernière mouture confiée au metteur en scène russe . En substituant le huis clos au drama giocoso, resserre, densifie, dramatise et actualise le propos en supprimant la distanciation liée à la farce, remplaçant la bouffonnerie mozartienne par l'opéra-thérapie contemporain : deux couples d'âge mur qui s'ennuient vont faire l'expérience de l'échangisme pour donner un peu de piquant à leur triste vie conjugale… Une épreuve qui s'avèrera lourde de conséquences où la comédie devient piège retraçant l'histoire d'une initiation « à rebours » ambiguë, entre sagesse et cruauté.

Actualiser la lecture pour apporter plus de crédibilité au livret de Da Ponte à l'époque de « MeToo », revisiter l'improbable réconciliation « happy-end » du Final, recontextualiser les propos volontiers machistes et sexistes à la lumière d'un féminisme affirmé, plus largement repenser les rapports entre hommes et femmes, entre moralité, genre et désir, tout cela parait méritoire, encore faut-il que tous ces angles de lecture s'organisent au sein d'un discours cohérent et explicite qui fasse sens, ce qui est loin d'être le cas dans cette mise en scène assez calamiteuse, obscure et confuse (avec un Final dantesque), où la réalisation souffre d'un constant décalage avec le livret, où l'incrédibilité de l'un est remplacée par l'incrédibilité de l'autre.

La scénographie se résume à un décor unique figurant un somptueux appartement suspendu dans le temps et l'espace, éloigné du reste du monde, où va se jouer le drame. Car c'est bien de drame qu'il s'agit, évoluant vers l'éclatement des couples, entre colère et larmes, violences et obscénités, dans un jeu de dupes conduit par le couple manipulateur, un rien sado-masochiste, constitué par Don Alfonso et Despina. Ni les éclairages froids et violents de Gleb Filshtinsky, ni les costumes actuels sans intérêt d'Elena Zaytseva n'apportent un plus quelconque à l'appui de cette lecture chaotique qui peine à convaincre par ses outrances et ses incohérences.

Dans la fosse qui abrite également le chœur, , habitué du festival et du répertoire mozartien, conduit étonnamment son Orchestre Balthasar Neumann sans sa fougue, ni sa verve habituelles. Si l'Ouverture parait bien terne dans sa sonorité (sur instruments d'époque), manquant quelque peu de cantabile et d'entrain, en revanche l'équilibre avec les chanteurs est souverain tout du long, de même que les récitatifs d'Andreas Küppers au pianoforte, alternant avec un phrasé orchestral fluide qui ménage de larges pauses, moments de doute et de réflexion dans la progression de la dramaturgie…

Pièce maitresse de cette production, la distribution vocale homogène et aguerrie à ce répertoire, argue d'une impressionnante maitrise technique vocale nullement entamée par la patine de l'âge, tant dans les airs solistes que dans les nombreux ensembles, qui sauve largement la mise de cette lecture tcherniakovienne. Dans un vieux reste de galanterie : honneur aux femmes, à commencer par la superbe Fiordiligi d'Agneta Eichenholtz dont on ne sait qu'admirer le plus de la souplesse et de l'élégance du chant ou de l'engagement scénique. Face à elle, la non moins convaincante Dorabella de fait valoir un timbre onctueux et une maitrise vocale et scénique confondantes. La Despina de n'est pas en reste dans ce concert de louanges. Ambivalente et intrigante à souhait, elle mène la danse par les couleurs contrastées, colériques ou sensuelles, de son chant avant d'avoir le dernier mot du drame en tuant Don Alfonso d'un coup de fusil (!). Les hommes, quant à eux relèvent crânement le défi : campe un Guglielmo plus vrai que nature, plein d'autorité vocale et scénique avec son ample baryton qui fait contraste avec le Ferrando plus réservé du ténor don le beau legato compense et masque avec une subtile élégance quelques difficultés dans l'aigu. en Don Alfonso, maitre du jeu, fait une composition éclatante en alternant les postures tour à tour enjôleuses ou barbares, sublimées par un chant d'une justesse absolue dans le ton comme dans la note. Le valeureux chœur de l'Académie Balthasar Neumann complète avec bonheur ce beau casting vocal, fortement applaudi aux saluts, à l'inverse de Dmitri Tcherniakov copieusement hué par le public et peut être aussi par Dieu qui, dans son jugement divin, invita la pluie à sanctionner cette étrange production, l'obligeant à une suspension d'une quinzaine de minutes…

Crédit photographique : © Monika Rittershaus

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