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Une clôture de Présences 2024 vivifiée par une brise outre-atlantique

Ce dimanche, un vent puissant venu de l'Ouest rafraîchissait les oreilles européennes au travers d'un patchwork de treize œuvres en trois concerts. À l'Amérique, représentée par , Caroline Shaw et , faisaient écho des pièces de , et Joséphine Stephenson.

 

Dimanche, 15h à l'Auditorium de la Maison de la radio et de la musique : « The Giardini Shaw ». Le concert commence très fort avec le Trio pour violon, violoncelle et piano / Variations sur la « Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont » de Marin Marais (1998) de . Ce dernier s'est donc inspiré d'une pièce publiée en 1723 pour violon, viole de gambe et clavecin, elle-même composée sur le motif de trois notes du carillon de l'église Sainte-Geneviève. C'est véritablement un hommage, puisque l'effectif, quoique modernisé, est inchangé, et que le thème reste central tout en étant soumis à toutes sortes de variations. Le caractère entêtant également demeure, tout comme la délicatesse cristalline, qui font de cet opus le chef-d'œuvre d'un artisan chambriste. Même si la confidentialité de ce trio s'accommode mal de l'ampleur de l'Auditorium, Il Giardini en rend toutes les fines nuances. À sa suite, la commande de Radio France donnée en création mondiale, Rest(e), pour mezzo-soprano et piano (2023-2024) de Joséphine Stephenson ne peut que décevoir. Certes, la trame du deuil la sous-tend, mais l'on reste englué dans le statisme d'un climat délétère d'une partition qui aurait Benjamin Britten comme très lointain inspirateur. Il n'en reste pas moins que la voix chaude et l'interprétation expressive de Fiona McGown donnent vie aux poèmes de Christina Rossetti et Renée Vivien. Retour à plus d'originalité et de goût du partage avec les quatre ouvrages de Caroline Shaw : The Wheel, pour violoncelle et piano (2021), And so, pour voix et quintette avec piano (2018-2019), Cant voi l'aube, pour voix et quatuor à cordes (2015-2016) et Concerto pour clavecin et cordes [version pour quintette avec piano] (2023). Quatre beaux moments chambristes eux aussi et traversés respectivement par le rêve et le souvenir, la poésie anglo-saxonne alliée au folk, la chanson médiévale et la référence à Jean-Sébastien Bach ; bref, la reviviscence du passé dans le présent. Tour à tour, Caroline Shaw, personne sensible et habitée, chante et joue du violon parmi ses complices d'Il Giardini.

Dimanche, 16h30 au Studio 104 : « Different Trains ». Le public bénéficie pour chacune des trois œuvres d'une présentation par l'enthousiaste et facétieux Antoine Maisonhaute, premier violon du . Pour écrire et intituler sa Carrot Revolution (2015), a repris la lettre et l'esprit d'une phrase qu'aurait dite Paul Cézanne : « Le jour vient où une seule carotte, fraîchement observée, déclenchera une révolution. » La carotte de la compositrice, c'est l'héritage du quatuor à cordes, européen, que cette Américaine malmène non sans humour en recourant à de multiples références musicales. Cela donne une partition très échevelée et donc flamboyante, mais ne conduit pas à la révolution annoncée. D'un esprit fort différent est le premier (et unique à ce jour, datant de 2023) Quatuor à cordes d'. Dans ses six parties enchaînées s'exprime un compositeur et percussionniste jouant sur les timbres et la fréquence de la pulsation. Une pièce très réussie ménageant toujours la surprise et qui ne pâlit pas devant la très attendue composition composite Different Trains, pour quatuor à cordes amplifié et sons fixés (1988). Deux quatuors jouent : celui enregistré et l'autre en scène. Tout comme , revisite donc un legs musical en le centrant, lui, sur l'élément moteur qu'est la speech melody – bribes de paroles de voyageurs enregistrées (tous Américains, dont l'ancienne gouvernante du compositeur et certains rescapés de la Shoah), déformées et répétées, chacune engendrant un changement harmonique. Plutôt angoissants, les sons de sifflets de trains des années 1930-1940 achèvent de nous plonger dans un passé encore récent. Ainsi se trouvent mariés l'idéalité de la musique dire pure à la réalité du train, symbole extrêmement puissant, au XXe siècle, de la vitesse et du transport de masse, pour le meilleur et pour le pire. Les différents membres du ne déméritent pas dans cette partition éprouvante par son irrésistible trépidation (dans La Musique minimaliste, Renaud Machart parle de suffocation), avec mention spéciale pour l'altiste Takumi Nozawa et la violoncelliste .

Dimanche, 18h30 à l'Auditorium : « Tehillim ». Caroline Shaw remonte sur scène avec les pour interpréter sa Partita for 8 voices (2009-2011), véritable joyau contemporain directement issu de la tradition chorale anglo-saxonne. Le passé baroque y côtoie des emprunts traditionnels, tel le chant diphtonique des Mongols, ou encore des expressions reprises du milieu citadin d'aujourd'hui. Une partition virtuose, charnue et foutraque à la fois, qui décoiffe et apporte la fantaisie qui manque aux Français, plus des chanteurs qui se déhanchent et sourient, bref vivent cette musique et communiquent leur bonheur. signe ce soir Xamp Concerto, pour deux accordéons et orchestre (2023) ainsi que Hoquetus animalis, cinq miniatures pour orgue (2021). Dans le premier morceau, très construit autour d'une exploration infinie des timbres, l' épouse les respirations des deux accordéons microtonals (jouant en quarts de tons) du (Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty) encadrant la cheffe . Le second convainc beaucoup moins, relevant plus d'une expérimentation sur les timbres là encore. Une impression accrue par le jeu timide de l'organiste Lucie Dollat. Pour refermer le festival, Tehillim, pour quatre voix de femmes et orchestre (1981), qu'il est extrêmement émouvant d'entendre en concert. Joyeux, ces « Psaumes » rebondissent sur la battue des mains et des percussions, comme le souvenir ravivé de célébrations archaïques. Mais, beaucoup plus souple que d'autres partitions de , la musique épouse ici la cantillation hébraïque, relevée par le ton chaud des clarinettes, avec de grandes variations de hauteur et selon une disposition en canon. Cette ductilité, très sensible en particulier quand les chants se décalent, aurait peut-être mérité une direction moins métronomique. Alignées tout au fond de la scène, les chanteuses s'entendent beaucoup moins que sur les enregistrements, mais sans que cela gêne vraiment. La mélodie et le claquement des mains hanteront longtemps sans doute les oreilles du public, très réceptif et reconnaissant.

Crédits photographiques : Caroline Shaw © Kait Moreno ; © Christophe Abramowitz ; © Christophe Abramowitz

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