Benjamin Bernheim est la vedette d'une production noyée par une mise en scène profuse de Mariame Clément et un Philharmonique de Vienne qui refuse la direction de Marc Minkowski.
Benjamin Bernheim devait être la vedette de ces nouveaux Contes, troisième production au festival après 1980 (avec Plácido Domingo) et 2003 (avec Neil Shicoff), et sur ce point au moins le pari est réussi. Pas d'héroïsme tonitruant ici, mais une vision lyrique, poétique, évidemment appuyée sur une diction parfaite : il ne lui aura manqué, pour mettre le public de la première à ses genoux (ou du moins pour susciter une ovation debout), que d'évoluer dans un cadre digne de lui. Il est au prologue et à l'épilogue réduit à la rue avec son caddie, et s'il trouve l'inspiration à la fin de l'opéra, on le voit aussi vieillir au fil des trois épisodes centraux : il fait de son mieux pour faire vivre son personnage, mais seuls ses atouts musicaux viennent sauver la soirée.
Rien ne va dans cette nouvelle production, mais la mise en scène en est tout de même le point noir. Mariame Clément a des idées, c'est certain. Elle en a même beaucoup, et elle a eu à sa disposition des moyens considérables pour les réaliser ; hélas, aucune n'aboutit, ne s'impose. La scène est constamment agitée, l'action comme les intentions sont illisibles ; la metteuse en scène parvient à tuer toute émotion de l'acte d'Antonia, ce qui est une prouesse. On ne croit pas au cadre général du spectacle, celui d'un tournage où Hoffmann est le réalisateur, avec Olympia-Antonia-Giulietta en star mal embouchée. L'idée n'est pas neuve, on l'a vu bien mieux réalisée sur la même scène un an plus tôt par Christoph Marthaler pour un Falstaff qui, bien que très éloigné de ses meilleurs spectacles, avait plus de tenue ; et dans les Contes d'Hoffmann même, le spectacle de Krzysztof Warlikowski à la Monnaie faisait de Patricia Petibon une radiographie cinématographique vertigineuse. Ici, ni les films réalisés (une improbable série de science-fiction pour Olympia, un film en costumes de l'époque du vrai Hoffmann pour Antonia, une sorte de télé-réalité pour Giulietta), ni la vie du tournage qui occupe l'essentiel du temps ne parviennent à créer du sens, au contraire : leur suractivité épuise le regard. L'acte d'Antonia est particulièrement éprouvant : c'est celui où le cadre du tournage est le plus présent, et on ne cesse de passer d'une scène tournée à une scène en coulisse, et vice-versa, sans aucune nécessité ; les difficultés du réalisateur Hoffmann avec ses acteurs, sa manière de s'engager dans chaque scène comme s'il en était le protagoniste, l'agaçante vulgarité de sa star, tout cela vient interposer un filtre qui nous empêche d'aller au cœur de l'œuvre. La vulgarité est le maître-mot de la soirée, mais elle ne parvient même pas à obtenir si souvent les rires faciles qu'elle semble courtiser : d'humour véritable, en revanche, on n'en trouvera aucune trace dans ce spectacle qui se prend constamment au sérieux.
Un orchestre en grève du zèle et une protagoniste sans nuance
La réalisation musicale est presque aussi déficiente. Marc Minkowski possède des Contes d'Hoffmann une connaissance intime avec laquelle seul Sylvain Cambreling peut rivaliser, et c'est d'ailleurs sur la version qu'il avait conçue pour un concert à la Salle Pleyel en 2012 qu'est modelée la partition jouée cette fois à Salzbourg. Hélas, l'Orchestre philharmonique de Vienne a visiblement décidé de ne pas s'en laisser conter. Il joue fort, sirupeux, sans nuances ; on peut toujours en admirer la beauté sonore, mais quand elle est employée contre le chef et, disons-le, contre la partition, ce n'est pas vraiment un avantage. N'importe lequel des autres orchestres du festival, l'excellent orchestre du Mozarteum, la Camerata Salzbourg, l'orchestre de l'ORF aurait fait beaucoup mieux, parce qu'il aurait accepté la collaboration et le travail d'équipe.
Engagé dans sa lutte avec l'orchestre, Minkowski n'est pas en mesure d'accorder aux chanteurs toute l'attention qu'il leur donne d'habitude : les décalages entre scène et fosse sont constants, ce qui nuit puissamment au théâtre. On ne saura pas ce que Kathryn Lewek aurait donné dans les quatre rôles féminins si elle avait bénéficié d'une préparation plus sereine et plus attentive ; elle s'investit à défaut beaucoup dans la mise en scène, au détriment des nuances et de la musicalité. Le reste de la distribution, pris entre orchestre et mise en scène, ne peut que faire tapisserie : Christian Van Horn n'a rien d'un diable, et s'il chante élégamment on aimerait tout de même un peu plus de présence et de diversité dans ses rôles successifs ; la soirée semble longue pour lui, et l'air « Répands tes feux dans l'air » dans l'acte de Giulietta, le trouve bien fatigué. Kate Lindsey s'en tire mieux, dans un rôle évidemment plus court ; elle chante à l'acte d'Olympia le double air « Ô rêve de joie et d'amour / Voyez-la sous son éventail », tout comme le désormais bien connu « Vois sous l'archet frémissant » de l'acte d'Antonia, avec sensibilité et un timbre chaleureux qui séduit, mais elle aussi pâtit du contexte : toute l'ironie, tout l'humour à la fois ravageur et tendre du personnage n'ont pas pu se développer dans ce contexte. Marc Mauillon en valet bouffon tout comme Jérôme Varnier en Crespel et Maître Luther apportent quelques beaux exemples de diction française et ont assez d'expérience pour éviter de laisser leurs personnages se noyer sous la confusion scénique et sous les flots orchestraux : c'est déjà beaucoup.
Crédits photographiques : ©SF/Monica Rittershaus
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