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Le Crépuscule des dieux à Berlin par Thielemann et Tcherniakov, une conclusion en beauté

Pour la suite et la fin de ce Ring berlinois orchestré par et , capté au Staatsoper unter den Linden, on prend les mêmes et on recommence… Qui s'en plaindrait, tant cette Tétralogie surprenante et décapante séduit par son originalité, sa cohérence et sa lisibilité, exaltée par une distribution vocale capable de regrouper tout le « gratin » des chanteurs wagnériens actuels.

Après un Or du Rhin surprenant, une Walkyrie prometteuse, un Siegfried enthousiasmant, poursuit son étude psychologique et sa déconstruction du Ring wagnérien avec ce Crépuscule des dieux « humain, trop humain » centré sur le personnage de Brünnhilde, devenue dans ce dernier épisode une femme libérée des dieux, que l'on retrouve à l'acte I, inquiète et apeurée dans un appartement désert, en compagnie de Siegfried insouciant et plus benêt que jamais, alors que les Nornes vieillies, elles aussi soumises au temps linéaire, annoncent la fin de l'histoire. La séparation des deux amants se fait dans la joie avant que le Voyage sur le Rhin n'initie un bel interlude orchestral porté par des cordes magnifiques nous menant chez les Gibichungen qui, à l'occasion d'un changement de propriétaire, habitent désormais le centre ESCHE, naguère dirigé par Wotan, désormais régi par Gunther, Gutrune, et Hagen en maitre du jeu. C'est probablement lors de la machination des changements de rôle entre Siegfried et Gunther que la mise en scène de Tcherniakov, qui refuse toujours obstinément tout élément magique ou symbolique (le philtre et le heaume), perd un peu de sa cohérence et de sa lisibilité, sans renoncer toutefois à son humour et à sa dérision décapante (Alberich fantomatique, totalement décati déambulant en sous vêtement !). La scène suivante annoncée par une attente prégnante entretenue par l'orchestre (vents, clarinette) s'organise autour du duo entre Waltraute et Brünnhilde dans un grand moment de théâtre d'une forte intensité dramatique confrontant, par personnages interposés, le passé (le Walhalla) et l'avenir (l'Amour humain symbolisé par l'Anneau). Un amour qui sera, hélas, de courte durée car dès son retour, Siegfried lui reprendra l'Anneau avant de l'emmener vers sa nouvelle demeure afin de retrouver Gunther qu'elle doit épouser chez les Gibichungen.

L'acte II s'ouvre dans la salle de conférence du centre, sur le duo Hagen/Alberich (toujours en « slip » !) pendant lequel le père rappelle au fils son devoir de récupérer l'Anneau, le cajolant et lui offrant une paire de chaussettes ! (Ah ! dérision quand tu nous tiens…) L'arrivée de Siegfried et Brünnhilde, vêtue d'une robe noire, conduit alors à une scène hésitante entre vaudeville et clownerie où ne tardera pas à poindre le drame. Loin de tous les serments, devenue simple marchandise humaine, Brünnhilde découvre la machination, comprend la trahison, constate la fin de son amour et accepte la mort programmée de Siegfried comme un sacrifice sans doute nécessaire.

L'acte III se déroule dans le « laboratoire de mesure du stress », celui là même qui avait ouvert l'Or du Rhin où les Filles du Rhin, déguisées en infirmières, tentent une dernière fois de récupérer l'Anneau que Siegfried refuse obstinément de leur céder. Dès lors les jeux sont faits, Siegfried est condamné à mort, assassiné par Hagen, non pas dans une partie de chasse comme le voudrait le livret, mais dans une salle de sport lors d'un match de basket ball… La Marche funèbre qui s'ensuit, poignante à vous donner des frissons tant l'interprétation de Thielemann est bouleversante, voit la réunion de tous autour du corps du « héros » sous le regard circonspect de Wotan. Puis tous les personnages quittent la scène laissant Brünnhilde seule avec le cadavre de Siegfried qu'elle enlace et sur lequel elle se couche dans une étreinte qui n'est pas sans rappeler le Liebestod de Tristan, en lieu et place de la classique immolation. L'émotion est à son comble. Tout est dit ou presque…Car alors s'amorce un nouveau départ, celui d'une femme libre, libérée de tous les déterminismes et de toutes les croyances…

Ainsi se conclut ce Ring complexe et subtil de , porté au plus haut par l'interprétation musicale d'un associé à une distribution  homogène, superlative, tant vocalement que théâtralement, reprenant pour l'essentiel celle des épisodes précédents : (ardente Brünnhilde), (Siegfried héroïque et insouciant), (Hagen brutal et calculateur),   (Gunther falot à souhait)), Mandy Fredich (pétulante et légère Gutrune) et (Waltraute bien chantante), tous rivalisant de talent dans cette production indispensable à tout lyricomane !

 

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