La douxième édition du Festival de Pâques a vu l'Orchestre symphonique de Barcelone et son chef Ludovic Morlot faire escale aux côtés du pianiste Lucas Debargue, tout comme l'Orchestre Philharmonique de Radio France et Beatrice Rana.
La transcription ravélienne pour orchestre d'Alborada del gracioso, extrait des pièces pour piano Miroirs, est une introduction colorée au programme de la soirée. L'Orquestra Simfonica de Barcelona possède des arguments pour séduire l'auditeur : phrasé sensuel, dynamiques franches, rythmique serrée. La fin de cette pièce brillante est néanmoins alourdie par son niveau sonore élevée, conséquence des pièges acoustiques de la salle.
Le concerto pour piano de Gershwin porte la signature d'un compositeur qui a su combiner des structures de musique classique et du jazz. Après une entame sans relief, un deuxième concert semble débuter dès l'entrée fort à propos du pianiste Lucas Debargue. Et ce qui suit est de bout en bout irrésistible, nourri par une complicité entre Ludovic Morlot et les musiciens espagnols. Le rythme du charleston et sa pulsation rapide créent un dialogue animé entre l'orchestre et le piano. Lucas Debargue a choisi un modèle Stephen Paulello à la place du traditionnel Steinway ou Yamaha et ses parties solo laissent apprécier son aisance digitale. La spontanéité de son approche trouve un relâchement inspirant. Il pénètre ainsi l'essence de cette musique et la fait vibrer. La sonorité vibrante des cordes, la sensualité des bois, et ce swing de part et d'autre nous entraînent dans un voyage musical aussi jubilatoire que sensible, au cœur de l'histoire des Etats-Unis. Une fenêtre ouverte sur la jeunesse américaine avec son enthousiasme, ses rêves et ses aspirations. Le mouvement central évoque, quant à lui, le blues américain ce que les formidables solistes – notamment à la trompette et à l'hautbois – ne manquent pas de mettre en lumière : des harmonies qui nous rappellent l'esprit du club de jazz, là où les sets s'enchaînent et se prolongent tard dans la nuit. Enfin, directement enchaîné avec l'épisode précédent, l'Allegro agitato ne laisse aucun répit aux interprètes, et l'expression résonne avec une grande modernité. L'amplitude des lignes, le groove du soliste sont autant d'éléments enthousiasmants malgré un orchestre qui couvre le piano en toute fin de mouvement. Lucas Debargue revient offrir un bis, une remarquable improvisation sur le thème de Summertime.
En deuxième partie, les Deux constellations pour orchestre d'après Joan Miró d'Hèctor Parra, révèlent un langage musical intense aux contours évocateurs. Dédiées à l'orchestre et son chef (qui en ont effectué la commande), ces pièces contrastées sont chaleureusement accueillies par le public.
Le programme de la soirée s'achève avec les Tableaux d'une Exposition de Moussorsgki, magnifiquement orchestrés par Ravel. On assiste à une version convaincante, portée par la générosité des musiciens. Parfois clinquante, son aspect organique nous fait véritablement voyager au point que les différents tableaux défilent sous nos yeux. Il Vecchio Castello, d'expression nostalgique et mystérieuse, nous invite en ses murs pour partager son histoire. Pour mieux communiquer ses intentions, le chef accompagne le geste de la main, lâchant sa baguette quelques instants. Parmi les volets les plus réussis, Samuel Goldenberg et Schumuyle avec sa trompette décidément très en vue. Son propos véhément est amené par le grave des cordes qui s'élèvent d'une seule voix. Comme pour Bydlo, d'une intensité pesante, tandis que le tonitruant Baba Yaga est un condensé des qualités expressives de la phalange catalane. Sous l'ovation de la salle, les musiciens donnent un bis irrésistible, Walking the dog de Gershwin, un extrait de la comédie Shall we dance, rendue célèbre par Fred Astaire et Ginger Rogers.
Venus à Aix également, les musiciens du Philharmonique de Radio France donnaient la réplique à la pianiste Beatrice Rana sous la conduite de Mikko Franck. Dans le même programme russe donné à la Philharmonie de Paris le lendemain avec moins de réussite, le concerto de Tchaïkovski est envisagé sans emphase ni sentimentalisme et la ligne architecturale répond à une direction sereine où chaque transition permet un dialogue captivant avec la soliste. Le Philharmonique déroule une pâte sonore flexible qui sait se densifier et répondre aux exigences de cette œuvre au caractère virtuose et dramatique. Chaque pupitre répond avec fluidité à chaque idée nouvelle proposée par Beatrice Rana, et elles sont nombreuses car l'Italienne se montre inventive. Dans les parties solos, elle ralentit le temps comme pour mieux se l'approprier. Son toucher, parfois épidermique et même méditatif (cadence du 1er mouvement), varie les effets et nous offre une version rafraîchissante. La pianiste libère une intensité brûlante dans les traits en cascade tandis que les parties déclamatoires sont abordées avec autorité et puissance. Le bis qu'elle donne au public, la Danse de la fée dragée, extrait du Casse-Noisette de Tchaïkovski, fait ressortir la part de féerie et de merveilleux grâce à un travail sur les timbres.