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Festival Chostakovitch à Leipzig : Andris Nelsons, toutes pour un, un pour toutes

Pour célébrer le 50ème anniversaire de la mort de , le Festival de Leipzig reproduit l'ensemble de l'œuvre du compositeur russe, et notamment l'intégrale de son corpus symphonique.

Quinze symphonies sont réparties entre deux orchestres (l'Orchestre du Gewandhaus et le ) tous deux dirigés par , directeur musical des deux formations. Pour l'heure, la Symphonie n° 11 interprétée par le BSO a les honneurs de la scène, précédée en première partie par le Concerto pour violon n° 1 avec la violoniste lettone en soliste.

Le Concerto pour violon n° 1 ouvre le concert sur une interprétation bouleversante de . Composé en 1947-1948, sous la menace de la censure jdanovienne, il ne fut créé qu'en 1955 par David Oïstrakh, son dédicataire et comprend quatre mouvements. Un Nocturne initial, essentiellement lyrique, qui évolue dans un climat de désolation déchirante où le violon fait longtemps cavalier seul, tout juste accompagné d'un lugubre basson auquel s'adjoignent quelques timbres orchestraux (harpe, timbales) sur un tempo d'une subtile lenteur. Suit le Scherzo conduit par un violon grinçant et virtuose, sorte de danse satanique tendue, chargée d'urgence, animée de nuances abruptes. La Passacaille se développe ensuite sur un dialogue entre soliste et orchestre (cordes, cor anglais, cuivres et contrebasses) où le violon brode une délicate mélodie, avant qu'une monumentale et virtuose cadence n'annonce la Burlesque conclusive, espèce de cavalcade envoutante où l'on admire la sonorité claire du violon, la mise en place sans faille et la complicité entre violon et orchestre dans un équilibre parfait malgré une dynamique virevoltante quasi suffocante qui conclut en beauté cette remarquable lecture où l'on admire tout à la fois le jeu du soliste et l'exceptionnelle plastique orchestrale du BSO.

Dix ans de collaboration (2015-2025) ont permis au chef letton et à la phalange américaine de peaufiner une intégrale marquante du corpus symphonique de Chostakovitch, tout juste achevée pour DG. On a pu parfois reprocher à , comme à d'autres interprètes occidentaux, de « décontextualiser » quelque peu ses interprétations par rapport à certaines lectures russes plus âpres et plus acérées…

Un reproche qui peut difficilement se concevoir à propos de la Symphonie n° 11, « Année 1905 », probablement la plus narrative des symphonies se découpant en quatre mouvements explicitement énoncés (Place du Palais, le 9 janvier, Mémoire éternelle et Tocsin) dont le matériau emprunte à nombre de chants révolutionnaires soviétiques. Véritable musique à programme, Chostakovitch y décrit le « Dimanche sanglant » du 9 janvier 1905 qui marquera le début de la Révolution avortée de 1905, durant lequel la foule s'assembla sur la place du Palais d'hiver pour protester contre la situation économique désastreuse. Le Tsar absent, les troupes du Palais ouvrirent le feu faisant de nombreux morts. Le père de Chostakovitch présent parmi les manifestants échappa de justesse au massacre, ce qui explique le lien très fort qui unit le compositeur à la Symphonie n° 11. Elle fut composée en 1957 à la demande des autorités soviétiques. Longtemps incomprise, ambigüe, elle est, fait important, contemporaine de l'insurrection hongroise de 1956, elle-même sévèrement réprimée par l'Armée rouge ; cette répression marqua durablement Chostakovitch expliquant qu'elle s'inscrive en filigrane tout du long de la Onzième symphonie dont nous livre une interprétation d'une rare puissance, de ces lectures dont on ne sort pas indemnes, associant étroitement lyrisme, désolation et accents expressionnistes, beauté du son et âpreté du phrasé. Elle comprend quatre mouvements joués enchainés comme si Nelsons nous racontait le déroulé de ce tragique évènement. La Place du Palais d'hiver est étrangement immobile, lieu d'un statisme orchestral chargé d'une attente inquiète (cordes, harpe) tout juste troublée par quelques stridents appels de trompette et de cor sur un tapis de cordes douloureuses au sublime legato. Sur un tempo très lent évoquant une lourde procession qui se met en branle, le thème mélodique (Thème révolutionnaire des détenus) est lancé par la petite harmonie (flute) repris par les cuivres qui se font de plus en plus pressants, auxquels s'associent les cordes graves, les timbales, le basson, puis le tutti, dans un crescendo qui marque un premier climax. La tension monte, le phrasé se creuse en évoluant par vagues successives en crescendos répétés (cuivres, caisse claire) interrompus par les retours obsédants du thème qui progressivement se délite avant la survenue brutale de la mitraille du 9 janvier où se déchainent dans un élan incoercible des cordes virevoltantes, des saillies agressives des bois, des cataclysmes de percussions et des beuglements de cuivres qui aboutissent au chaos, dont la trompette lointaine et le célesta solitaire établissent le dramatique constat pour laisser place à la désolation de In Memoriam, long adagio  qui s'ouvre sur un paysage orchestral épuré et désolé (petite harmonie, célesta et harpe) ne laissant subsister que quelques timbres instrumentaux agoniques soutenus par la magnifique et très émouvante cantilène des altos. Puis les cuivres entament la dernière section, le Tocsin, fait d'une succession de moments lyriques (cordes) chantant une fois encore un thème révolutionnaire tandis que la tension s'accroit progressivement et que la colère gronde dans un mélange d'affliction et de révolte, avant que le galop final ne libère toute l'énergie contenue dan un tonnerre musical, vaste péroraison très prenante dans laquelle s'affrontent les masses orchestrales  ne laissant émerger « in fine » que la douloureuse et éloquente cantilène du cor anglais, avant un dernier soubresaut du tutti porté par des percussions furieuses et éclatantes annonciatrices d'une menace revendicative prochaine…Magnifique !

Crédits photographiques : © Jens Gerber

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