Festival Chostakovitch de Leipzig : Jusqu’au bout du drame avec la Symphonie n°8
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Allemagne. Festival de Leipzig. Gewandhaus. 17-V-2025. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Concerto pour violoncelle n° 1 en mi bémol majeur op. 107 ; Symphonie n° 8 en ut mineur op. 65. Gautier Capuçon, violoncelle. Boston Symphony Orchestra, direction : Andris Nelsons.
Andris Nelsons et le BSO font souffler, ce soir, le feu et la glace sur la scène du Gewandhaus en associant le très extraverti et virtuose Concerto pour violoncelle n° 1 avec Gautier Capuçon en soliste et la glaciale Symphonie n ° 8, probablement la plus sombre des symphonies de guerre du compositeur russe.
Le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 ouvre le concert. Pièce extravertie, virtuose, devenue incontournable dans le répertoire pour violoncelle, dont Gautier Capuçon a fait depuis de nombreuses années un de ses chevaux de bataille sur toutes les scènes de la planète. Créé en 1959 par Mstislaw Rotropovich qui en est le dédicataire, il comprend quatre mouvements dont le celliste français livre une interprétation en demi-teinte, souvent pénalisée par le déséquilibre existant entre la faible projection du violoncelle et l'ampleur sonore de la puissante phalange américaine. Le premier mouvement Allegretto s'ouvre sur le célèbre thème, omniprésent tout au long de l'œuvre, clamé quasi à découvert par le soliste, soutenu par les stridences de la petite harmonie et des cuivres. On apprécie la belle pulsation des contrebasses et la rythmique impeccable impulsée par Andris Nelsons alors que le violoncelle se cantonne dans un registre un peu confidentiel. Le Moderato, entamé par les cordes dont on apprécie la sonorité et le legato, chante une belle mélodie, initiant un magnifique dialogue très émouvant, plein de charme et de sensualité, entre orchestre (cor, clarinette) et soliste, sur un tempo d'une voluptueuse lenteur. La Cadence, peut-être un peu trop nuancée, est l'occasion pour Gautier Capuçon de faire valoir la belle sonorité de son Matteo Goffriler « Ambassadeur » de 1701 et sa virtuosité confondante, avant que l'Allegro con moto final ne développe une véritable course à l'abyme entre le soliste et l'orchestre qui flamboie de tous ses pupitres (petite harmonie, petite clarinette, cordes graves, violoncelle solo et percussions) contre lequel Gautier Capuçon a bien du mal à s'imposer, concluant dans le feu cette interprétation qui vaut autant par le splendide accompagnement du BSO que par la prestation du soliste. En bis, Gautier Capuçon interprète un Prélude arrangé par lui à partir des 5 Préludes pour 2 violons et piano, accompagné de l'ensemble des violoncellistes de la phalange bostonienne.
Sans nul doute la plus tragique du corpus symphonique de Chostakovitch, la Symphonie n° 8 appartient au triptyque des symphonies de guerre. Véritable requiem profane fait de glace et de feu, oscillant entre hargne et déploration, créée en 1943 à Moscou sous la baguette de Mravinski, elle évoque musicalement les souffrances, les angoisses et la terrible tragédie de la guerre. Elle comprend cinq mouvements dont les trois derniers sont joués enchainés. L'Adagio inaugural pose d'emblée le décor d'une interprétation magistrale : une direction d'orchestre inspirée, une lecture au plus près du drame et une phalange d'une qualité superlative par ses performances solistiques comme par sa réactivité et sa cohésion. Andris Nelsons y déploie un vaste lamento porté par des cordes éplorées dont le basson et les contrebasses soulignent encore le caractère lugubre, sur un tempo particulièrement lent, chargé d'une attente entretenue par les traits stridents de la petite harmonie jusqu'au déclenchement de l'Allegro annoncé par les cuivres et les percussions. Le tempo s'accélère, le phrasé se creuse jusqu'au premier climax, intense et presque douloureux, auquel succède une marche inexorable qui emporte tout sur son passage ne laissant subsister qu'un paysage orchestral désolé, monde d'épouvante au statisme écrasant, d'où émerge, sur des tremolos de contrebasses, le chant plaintif du cor anglais. L'Allegretto suivant est une marche aux sonorités crues, chargées d'humour grinçant dans les retombées sifflantes des bois et de sarcasme dans l'étonnant dialogue du tuba et du piccolo. L'Allegro non troppo lancé par les altos, poursuit la progression obstinée dans une tension croissante en recrutant tous les pupitres. Si les attaques de cordes manquent un rien de tranchant, on est en revanche séduit par l'impeccable mise en place. Véritable musique de transe, appuyée par les cordes graves, les fanfares cuivrées, et les menaces de la caisse claire, ce mouvement nous emmène dans une course à l'abîme… à laquelle fait suite sans interruption, dans un contraste saisissant, l'immobilisme inquiétant du Largo : vaste domaine de la déploration, souligné encore par la gravité du cor solo et les cantilènes déchirantes de la petite flûte et de la clarinette basse. Nimbé de la joie trompeuse du basson solo, du lyrisme des cordes et du chant gracile de la petite flûte, l'Allegretto final ébauche une mélodique pastorale, constamment contrecarrée par le retour du thème obsédant repris tour à tour par tous les pupitres, tandis que grandit la menace dans un discours de plus en plus tendu et dissonant, jusqu'à la péroraison du violon solo et le retour au silence qui vient couronner cette interprétation poignante.
Crédits photographiques : © Jens Gerber
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