Le festival Musical de Namur, pour son week-end inaugural, nous propose une exploration des répertoires vocaux anciens pour le moins contrastée.
Les Tallis Scholars splendides dans Palestrina et Lassus
2025 marque le cinq-centième anniversaire de la naissance de Giovanni Pierluigi da Palestrina, figure emblématique du répertoire polyphonique renaissant. Peter Philips et ses Tallis Scholars remettent sur le métier à cette occasion un répertoire qu'ils ont déjà magnifiquement illustré au disque il y a plus de trente ans.
Malgré les changements d'effectif inévitables au gré d'un demi-siècle d'existence, l'ensemble a conservé son identité sonore si typique : pureté très british des voix, absolue perfection d'intonation, équilibre parfait entre pupitres, transparence de la trame polyphonique, précision rythmique, optimale articulation agogique sont au rendez-vous. L'expression demeure toujours fervente et modulable. pouvant passer de la désolation prostrée à la contagieuse jubilation.
En première partie nous est proposée la monumentale Missa super ut re mi fa sol la à six voix de Palestrina, libre fantaisie spirituelle sur l'Hexacorde. Cette donne élémentaire est quasiment le seul motif confié au pupitre de secondes soprani, du Kyrie liminaire au Dona nobis pacem final, et innerve souterrainement toutes les voix. Mais par les prodiges de l'écriture, ce motif n'est pas toujours perceptible à l'oreille, de par son enfouissement au sein d'une polyphonie savante et imaginative. Nos interprètes en magnifient la portée expressive par une plénitude sonore souvent flamboyante (brillantissime Gloria, ou exaltant Sanctus) mais jouent ci et là la carte de l'intimisme au gré du Credo (le Cruxifixus), du Benedictus (distribués tous deux en quatuor soliste ) ou encore de l'ineffable et planant Agnus Dei conclusif.
Après l'entracte Peter Philips nous propose quelques motets du maître romain et de son contemporain Lassus : du premier le festif et vespéral Laudate Pueri à huit et le Tu es Petrus, à six, sont magnifiés avec conviction par nos interprètes, et encadrent en total contraste trois pages plus pénitentes où les deux maîtres rivalisent d'imagination dans une veine bien plus élégiaque : le Media Vita à six du montois se veut évocation de notre triste sort d'humble mortel, là où le Tribulationes civitatum très introverti du Romain évoque la détresse des cités abandonnées à la peur et à l'hébétude : les Tallis Scholars en exaltent les contours mélancoliques et les entrelacs harmoniques avec une délectation contrite. Le sommet absolu de ce concert demeure toutefois le doloriste Timor et Tremor de Lassus, livré de manière cinglante et sublime, au gré de ses madrigalismes surprenants et de son écriture harmonique et rythmique alambiquée.
En bis, le baroque Cruxifixus à huit d'Antonio Lotti, aux dissonances poignantes, permet aux interprètes de prendre congé de manière assez inattendue d'un auditoire subjugué.
L'ensemble Clématis à la découverte des cantates sacrées de David Pohle
Clématis, fondé par la violoniste belge Stéphanie De Failly, a fait paraître dernièrement chez Ricercar un formidable disque consacré à la musique instrumentale de David Pohle (clef ResMusica). Ce dimanche nous est proposé une sélection de cantates du même maître quasi inconnu en la somptueuse église namuroise Saint-Loup.
Pohle est une attachante figure du baroque nordique allemand ayant étudié à Dresde auprès de Schütz. Au gré d'une carrière instable, on le retrouve à Kassel ou à Halle. Ses œuvres n'ont, hélas, bénéficié d'aucune édition imprimée, et la majeure partie de sa production vocale semble irrémédiablement perdue. Seule une trentaine d'œuvres sacrées nous sont parvenues, sur des textes allemands ou latins, destinées au culte luthérien.
Sont réunies six œuvres de dimensions variables. Certaines, tels le bref Benedicam Domino, ou la cantate plus festive Ihr Völker bringet her, écrite en trio, tiennent plutôt du petit concert spirituel. Par contre l'émouvant Miserere mei deus ou le Domine Ostende mihi, poignant par son appel à la Paix, sont destinés à un effectif bien plus étoffé (dix parties réelles), faisant alterner passages polyphoniques ouvragés et interventions solistes plus rhétoriques. Les sommets de ce programme demeurent le litanique Domine quis habitabit dramatiquement strophique, et plus encore l'émouvant et poétique Jesu meine freude.
Ces partitions très piétistes sont superbement servies par cinq excellents solistes du chant.
Caroline Weynants, souvent associée aux productions du Chœur de Chambre de Namur, ou de Correspondances, s'avère par son timbre fruité et angélique une digne héritière de Greta de Reyghere – dont elle fut l'élève. Citons également la mezzo belge Coline Dutilleul à la voix pulpeuse et expressive, le contre-ténor français Paulin Bündgen, au grain agréablement corsé, le ténor américain Robert Getchell, superbe de souple autorité, et la basse Philppe Favette, pilier bien connu du Chœur de Chambre de Namur, parfait de conviction et d'expression.
L'Ensemble Clématis donne une réplique aussi idéale de ton et de sonorité. Les couleurs de l'ensemble instrumental sont à dessein sombres – avec ces trois altos obligés pimentés par le poétique basson d'Evolène Kiener. L'attentif et inspiré Brice Sailly assume depuis le clavecin la direction de l'ensemble. Mais il convient enfin de saluer la prestation de l'organiste Maude Gratton qui assure au sein de l'ensemble à l'orgue positif une bonne part du continuo. Mais elle gagne aussi par trois fois la tribune pour faire somptueusement résonner l'orgue Thomas (2023) d'inspiration baroque allemande nordique pour quelques intermèdes de choix signés Heinrich Scheidemann, Franz Tunder (le virtuose choral Herr Gott, dich loben wir) ou surtout Dietrich Buxtehude (le splendide Prélude en mi mineur), donnés avec une ardente éloquence et une flamboyante virtuosité.