Le second jour des Rencontres Musicales d'Évian 2025, trois concerts de chambre permettaient trois monographies : le matin Brahms par Hinnewinkel et Zientara, l'après-midi Poulenc par Bellom et l'Ensemble Astera et le soir Schubert avec Capuçon, Fujita, Ax, Soltani et Campet, avant un récital plus classique de Malofeev et Han le lendemain matin.
Dans un festival, le plaisir est de pouvoir profiter de concerts toute la journée, et la magie d'un grand festival, c'est que tous soient de grande qualité.
C'est ainsi à Évian, où après un puissant concert symphonique autour de Mahler la veille, on reprend le lendemain matin dans la même Grange au Lac avec un beau programme pour alto et piano autour de Brahms. L'altiste Paul Zientara sera encore présent pour « La Truite » de Schubert le soir, et Arthur Hinnewinkel pendant plusieurs jours, notamment pour jouer une partie de l'intégrale de la musique de chambre de Ravel programmée cette année. Mais en cette première matinée, ils sont tous deux attendus dans les deux sonates du compositeur allemand, et quelques compléments. Si la Sonate n° 1 op. 120 n°1 expose la chaleur de l'alto autant que l'élégance de l'accompagnement, on reste toutefois moins convaincu par son finale, un peu moins dynamique. Les trois lieder transcrits ensuite offrent une émotion instillée facilement par les artistes, qui peuvent ensuite entrer sereinement dans la Sonate op. 120 n°2. La dernière pièce, le Scherzo transcrit du violon pour alto de la Sonate F-A-E, aurait pu faire office de bis tant elle est énergiquement interprétée, mais pour remercier le public, les artistes préfèrent reprendre un lied transcrit, pour une atmosphère plus calme.
Juste après le déjeuner, c'est le pianiste Guillaume Bellom qu'on retrouve devant le Steinway, en compagnie de cinq musiciens de l'Ensemble Astera. Uniquement à vent, cet ensemble présente ici les sonates de Poulenc, dont on regrette d'ailleurs de ne pas avoir eu celle pour hautbois plutôt que le Trio pour hautbois, basson et piano. Pour ouvrir le programme, on commence par le meilleur de Poulenc avec la Sonate pour flûte et piano et ses fugaces réminiscence de thèmes du Dialogue des Carmélites, notamment au second mouvement. Coline Richard est à la flûte, et elle emporte la partition par ses couleurs et sa pureté. Juste après, elle laisse la place à Moritz Roelcke, lui aussi limpide pour délivrer avec son instrument tous les thèmes de la Sonate pour clarinette et piano. Guillaume Bellom n'a pas le même jeu que Hinnewinkel le matin et les partitions ne le demandent pas non plus. Il se montre donc plus léger et plus coloré, parfait pour accompagner sans les couvrir les musiciens, dont on découvre le basson de Jeremy Bager et le hautbois de Yann Thenet au trio, puis encore le cor de Gabriel Potier pendant le sextuor.
Le soir, la salle à l'acoustique unique d'Évian est quasi complète pour le programme Schubert, dans lequel on trouve non seulement Renaud Capuçon au violon, mais aussi les pianistes Mao Fujita et Emmanuel Ax. Dans le Trio en si bémol D. 898, c'est le jeune pianiste japonais qui débute autour du violoniste directeur musical du festival, et du violoncelliste Kian Soltani. Ici, on retrouve tout le lyrisme de Renaud Capuçon, libre de proposer son interprétation sans que Soltani ne cherche jamais à prendre l'ascendant, sauf lors de quelques grandes phrases pour son instrument. Particulièrement délicat, le piano de Fujita est aussi très agile, ce que l'on ressent particulièrement quand il peut s'épancher un peu sur certaines fins de phrase. Dans la Fantaisie en fa mineur D. 940 ensuite, il a la partie de droite et c'est une très bonne idée, car sa célérité lui permet de jouer de nombreux thèmes dans l'aigu sans mettre en difficulté l'accompagnement d'Emmanuel Ax. Plus mature, le pianiste américain semble avoir retrouvé une seconde jeunesse, dont on profite avec une évidence de style idéale pour « La Truite« . Dans ce quintette, on apprécie non seulement Emmanuel Ax, toujours concentré à suivre le geste lyrique de Renaud Capuçon, mais aussi le retour de Paul Zientara à l'alto et surtout de la contrebasse de Lorraine Campet. Agrandie par une extension sur la corde la plus grave, celle-ci peut ici jouer toutes les notes d'une partition initialement faite pour l'ambitus d'une contrebasse à cinq cordes. La soliste prend alors une place assez inédite dans ce quintette pourtant si célèbre, auquel elle apporte une douce gravité dans des parties habituellement plus portées par le violoncelle.
Le lendemain matin, c'est cette fois un récital plus classique de violoncelle et piano qui met en avant non seulement le pianiste Alexander Malofeev, mais aussi le violoncelliste Jaemin Han. Habitués à jouer ensemble (un album va bientôt sceller leur collaboration), les deux jeunes artistes débutent par un Chant du ménestrel de Glazounov pris lentement, et qui n'a d'autre intérêt que d'ouvrir à la célèbre Sonate de Franck enchaînée directement. Ici donnée dans la transcription validée par le compositeur, elle permet de découvrir la capacité du violoncelliste sud-coréen à transmettre les émotions. Ses amples mouvements ne sont pas surfaits par rapport à la véritable sensibilité présente dans la musique. La Sonate de Prokofiev manque peut être ensuite d'un peu de mordant, mais c'est une très belle idée de proposer dans cette salle créée pour Rostropovitch une œuvre écrite pour lui par un compositeur alors interdit par le régime soviétique. La transcription du lied Morgen en bis conclut le concert en annonçant déjà le programme du samedi : Kaufmann et Damrau dans Mahler et Strauss, entendus cinq jours plus tôt par le public parisien.