Pour le dernier concert de sa saison, l'Orchestre national de Lille a proposé un voyage dans l'univers gaiement désespéré de Kurt Weill avec notamment l'étonnant ballet chanté des Sept péchés capitaux.
Entre valse, fox-trot, marche, tango, gouaille populaire, cabaret et grande musique symphonique, l'œuvre de Kurt Weill (1900-1950) oscille de la gaieté triste à la tragédie joyeuse, autant d'oxymores qui résument le génie de ce grand exilé ayant quitté l'Allemagne en 1933 pour fuir les persécutions nazies.
1933 est justement la date de composition des Sept péchés capitaux, ballet chanté écrit à Paris et ultime collaboration de Kurt Weill avec le grand dramaturge Bertolt Brecht. Une œuvre cynique et désespérée où Weill et Brecht interrogent nos consciences. Car Les Sept péchés capitaux, c'est avant tout un parcours initiatique. Celui de la jeune Anna, qui quitte sa famille pour tenter de faire fortune, et va voir sa raison et son instinct se confronter aux différents péchés qui la guettent. C'est une partition courte mais puissante, au cœur du dernier concert de la saison de l'Orchestre national de Lille sous la direction de Joshua Weilerstein.
Dans une mise en espace astucieuse de Sandra Preciado, et avec une jeune équipe d'artistes dont l'excellente mezzo soprano Bella Adamova et la danseuse Jess Gardolin, ces Sept péchés capitaux nous parlent d'un monde qui va s'effondrer où « les fous qui marchent fiers et triomphants ne savent pas ce qui les attend« . Avec une grande intelligence, le téléphone portable est au cœur de la mise en scène, sobre mais efficace, qui l'utilise à la fois comme miroir de nos vanités, écran déformant et voyeur, reflet de nos (in)consciences. La partition de Kurt Weill est sombre, d'un symphonisme assumé, loin de l'ambiance cabaret de L'Opéra de quat'sous qui a fait sa réputation. Joshua Weilerstein emporte les forces de l'Orchestre national de Lille au grand complet avec conviction, en parfaite osmose avec le timbre profond de Bella Adamova.
Le contraste est saisissant avec la première partie du concert, délibérément joyeuse et festive avec des extraits de la comédie musicale Cabaret de John Kander, le célébrissime Mack the Knife extrait de l'Opéra de quat'sous de Kurt Weill, chantés par l'énergique soprano Isabelle Georges, ou encore l'effervescent Bœuf sur le toit de Darius Milhaud : ce ballet surréaliste est un cheval de bataille de l'Orchestre national de Lille qui l'a enregistré brillamment avec son chef fondateur Jean-Claude Casadesus. La direction de Joshua Weilerstein est spectaculaire, plus « Broadway » que « Montmartre », mais reste d'une grande lisibilité dans une partition où les tonalités et les rythmes se chevauchent allègrement.
De Berlin à Broadway, la musique, elle, était à la fête.