Dans ses deux acceptions différentes, la Zarzuela régale tout à la fois les gastronomes amateurs de poisson et les lyricomanes curieux…
Palacio de la Zarzuela
Loin de n'être qu'une curiosité anecdotique, la Zarzuela est un genre lyrique spécifiquement espagnol (avec une extension en Amérique hispanique) qui regroupe près de 20 000 œuvres réparties entre quelques 500 compositeurs sur près de quatre siècles. Par son alternance du « parlé », du « chanté » et du « dansé », on pourrait la rapprocher de l'opéra-comique français et du singspiel allemand.
Les origines
Sa naissance est actée au XVIIe siècle, aux alentours de Madrid, au cœur du siècle d'or sous le règne de Philippe IV dans un pavillon de chasse (le Palacio de la Zarzuela) sis au milieu d'une ronceraie (zarza en espagnol) où le Roi se plaisait à convoquer, après la chasse, nombre de musiciens et d'acteurs pour des « Fiestas de la Zarzuela » : des spectacles de cour en forme d'œuvres musico-théâtrales qui ne tarderont pas à se convertir en spectacles de masses urbaines au milieu du XIXe siècle. La première pièce répertoriée est El jardin de Falerina en 1648. D'autres suivront, mais certaines caractéristiques resteront constantes tout au long de son évolution du XVIIe à nos jours (zarzuela baroque et zarzuela romantique, avant de s'éteindre dans les années 60-70) : intelligibilité du chant, constance de la mélodie, clarté de la prosodie, couleurs ibériques régulièrement affichées, respect de la tonalité, découpage par numéros expliquant qu'elle échappe in fine aux transformations engagées par l'art lyrique à partir de la fin du XIXe siècle, sous l'influence de Wagner notamment.
La zarzuela baroque
Dans sa période initiale, celle de l'esthétique aristocratique, les personnages sont préférentiellement des figures mythologiques portées par des librettistes comme Calderon de la Barca et des compositeurs comme Juan Hidalgo (1614-1685). A l'orée du XVIIIe siècle, les Bourbons succèdent aux Habsbourg (1700) sur le trône d'Espagne, la zarzuela s'exporte alors vers les théâtres populaires de Madrid, ouvrant un vaste champ à des compositeurs comme Sebastian Durón (1660-1716) tandis que les livrets restent d'inspiration mythologique. La seconde moitié du siècle marque un tournant, les sujets traités avec le librettiste Ramon de la Cruz (1731-1794) abandonnent la mythologie gréco-latine, préférant le réalisme à l'allégorie pour se teinter d'une composante plus sociale et populaire tandis que le terroir s'affirme au son des séguedilles, jotas et autres fandangos comme dans Las Labradoras de Murcia d'Antonio Rodriguez de Hita (1724-1787). Emergent également des zarzuelas sur des sujets enjoués, comicas ou chicas en un seul acte.
Après une période d'éclipse à la fin du XVIIIe siècle due à l'emprise de l'opéra italien, aux guerres napoléoniennes et carlistes pendant le règne des Bourbon, la zarzuela se mue en une forme plus réduite : la tonadilla, une forme plus brève et populaire, satirique voire politique, souvent intercalée pendant l'entracte d'autres spectacles théâtraux ; avant de renaitre de ses cendres vers 1830 dans sa forme originelle sous la houlette de Joaquin Gaztambide (1822-1870) et de Christobal Outrid (1825-1877). Parallèlement sont construits presque simultanément le Teatro Real (1850) et le Teatro de la Zarzuela, inauguré à Madrid en 1856, véritable temple zarzuélistique qui restera exclusivement dévolu au genre auquel il doit son appellation.
La zarzuela romantique
Teatro Real et Teatro de la zarzuela, symbolisent au plus haut point la lutte larvée existant entre opéra d'influence italienne et opéra national espagnol dont la zarzuela porte, encore de nos jours, le fier étendard.
Madrid s'affirme alors avec éclat comme la capitale de la zarzuela dont les chantres les plus prolixes et les plus fameux sont Emilo Arieta (1821-1894), Francisco Asenjo Barbieri (1823-1894) compositeur du célèbre El barberillo de Lavapiès et Tomas Bretón (1850-1923) compositeur de la non moins célèbre La Verbena de la Paloma créée en 1894, plébiscitée par Camille Saint Saëns, qui marque le début de la seconde jeunesse d'un genre, désormais fermement institué, qui se poursuivra par des centaines de compositions (plus de 2100 entre 1880 et 1905) « chica » en un acte ou « grande » en trois actes, redevables à une myriade de compositeurs dont, entre autres zarzueleros, Federico Chueca, Ruperto Chapi, Manuel Fernandez Caballero, Gerónimo Gimenez, sans oublier le trio formé par Albeniz, Granados et Falla…
La zarzuela « grande » représente plus de trois quarts de la production zarzuéliste : c'est « La Zarzuela » qui se découpe en trois actes, auxquels s'ajoutent d'autres caractéristiques comme la présence d'un prélude, des chœurs imposants et une quinzaine de numéros musicaux, une distribution vocale pléthorique avec nombre de duos, trios et romances destinées aux rôles principaux.
La zarzuela « chica » trouve son apogée dans les années 1850-1880. Elle ne comprend qu'un seul acte mais peut se subdiviser en plusieurs tableaux. Elle donnera naissance à plusieurs formes dérivées regroupées dans le genero chico (1880-1905) dont on citera particulièrement le Teatro por horas avec des spectacles se succédant d'heure en heure, autour de sujets volontiers gouailleurs pour le plus grand plaisir du public madrilène.
Le XIXe siècle sera l'âge d'or de la zarzuela qui subit de plein fouet la concurrence de l'opéra italien régnant en Europe avec Rossini, Bellini, Donizetti et bientôt Verdi. Vers le milieu du siècle, un groupe d'écrivains et de compositeurs rassemblés autour de Francisco Asenjo Barbieri (1823–1894), grand compositeur et maître à penser musical de l'école nationale, renoue et rénove le genre, lui redonne des lettres de noblesse dans l'intention d'affranchir la musique espagnole de l'invasion de l'opéra italien. L'éventail des sujets est très grand, du drame historique à la légère comédie de mœurs. Mais toute l'Espagne et ses provinces est présente dans sa variété musicale, de rythmes vocaux et de danses. Madrid devient le centre privilégié de la zarzuela urbaine, mettant en scène les madrilènes du menu peuple, leur accent, leurs fêtes et leurs disputes de voisinage.
La Fin : Heurs et malheurs de la Zarzuela
Au tournant du XXe siècle, la zarzuela connaît un essor sans précédent, indifférente aux aléas de l'Histoire contemporaine. Amadeo Vives (1871-1932) est sans nul doute la figure majeure de cette époque avec un corpus de plus d'une centaine d'œuvres dont les très connues Dona Francisquita (1923) et La Villana (1927).
Mais finalement quid de l'opéra espagnol si ce n'est pas la zarzuela ? On retiendra comme facteur distinctif, l'absence de dialogues parlés dans le premier pour le distinguer de la seconde. La naissance de l'opéra espagnol au XVIIe siècle précède de quelques années celle de l'opéra italien, avant l'avènement de l'opéra français et allemand. Sans aucune référence antérieure il naquit ex nihilo pour se trouver rapidement en concurrence avec la zarzuela quasiment contemporaine. Outre une différence de lieu (Teatro Real pour l'un, Teatro de la Zarzuela pour l'autre), le premier contrairement à la seconde devra subir ou bénéficier , c'est selon, des influences italiennes (Rossini, Donizetti, Bellini, Verdi…) ? Entre 1850 et 1925, seuls trente-six opéras espagnols seront représentés au Teatro Real contre plusieurs centaines de zarzuelas qui n'hésiteront pas à essaimer dans d'autres villes comme Barcelone, avec des livrets parfois en catalan, ou encore Séville, Cadix, Malaga, Cordoue, Grenade, Valence… Amérique latine et Philippines ! Malheureusement cette embellie annonce, à court terme, une fin prochaine…
La guerre civile sonnera, hélas, le glas de la zarzuela comme genre de création, marquant ainsi la fin d'une époque dont La eterna cancion de Pablo Sorazabal (1945) constitue le triste symbole. On ne saurait conclure sans évoquer succinctement les rapports parfois ambigus entre la zarzuela et la politique (dictature de Primo de Rivera, République et régime franquiste). Si Luisa Fernanda de Federico Moreno Torroba (1932) constitue un des grands triomphes de la République avec ses véhéments « Viva la libertad ! » on ne saurait oublier qu'en exaltant le patrimoine culturel national, chantant les valeurs traditionnelles d'une Espagne qui continue à se croire éternelle, reine du monde, avec ses valeurs de courage, d'héroïsme, d'honneur, d'amour, de religion et de patrie, la zarzuela n'échappera pas à tous les clichés d'un nationalisme d'autant plus ombrageux qu'il n'a plus l'ombre d'une réalité solide dans un pays paupérisé par la perte des colonies et les guerres civiles, la terrible Guerre de 1936. Elle prête alors le flanc à une d'exaltation patriotique, de nationalisme autosatisfait dont d'aucuns se serviront à des fins politiques. Cela expliquant que le franquisme, isolé culturellement du monde, tourné vers le passé, cultiva avec dévotion la zarzuela, l'instrumentalisa et la favorisa comme une sorte de retour aux valeurs traditionnelles d'une Espagne le dos tourné à la modernité. Une période bien incertaine, heureusement transitoire au terme de laquelle la Zarzuela renaitra une fois encore de ses cendres, portée sur les scènes mondiales par les plus grands interprètes lyriques espagnols, de Victoria de los Ángeles à Alfredo Kraus, de Teresa Berganza à Plácido Domingo, de Montserrat Caballé à José Carreras, chanteurs dans toutes les mémoires, et de María Bayo à Rolando Villazón. Domingo par ailleurs, né de parents chanteurs de zarzuelas, saura imposer la zarzuela comme genre lyrique obligatoire dans le fameux concours qui porte son nom.
Pour aller plus loin
Pour connaitre la recette précise de la Zarzuela, ainsi que le catalogue quasi exhaustif des œuvres et des zarzueleros (librettistes et compositeurs) on ne saurait trop recommander les livres de Pierre-René Serna : Guide de la Zarzuela, la Zarzuela baroque et la Zarzuela romantique (bleu nuit éditeur).