- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Andris Nelsons et le Gewandhausorchester ouvrent les « Prem’s » à la Philharmonie de Paris

Après avoir parcouru l'ensemble de l'œuvre de Dimitri Chostakovitch dans le cadre du festival de Leipzig au printemps dernier à la tête de ses deux orchestres, saxon (Gewandhaus orchester) et américain (Boston Symphony Orchestra), c'est aujourd'hui avec le premier qu' inaugure la saison à la Philharmonie.

Dans le prolongement de l'esprit des Proms londoniens, les « Prem's » parisiens qui se veulent un moment festif et inclusif, inaugurent une nouvelle organisation de la salle Pierre Boulez laissant un large espace (700 places à 15 euros) à des spectateurs debout au parterre, une initiative originale en quatre rendez-vous qui verront se succéder également les Berliner Philharmoniker, l'Orchestre et le Chœur de La Scala de Milan et l'Orchestre de Paris.

Éclectisme avec ,  et

Le premier concert aux fragrances nordiques débute par un hommage rendu à Benjamin Britten, mort en 1976, avec le Cantus in memoriam d' : élégie composée en 1977, considérée comme prémices du tintinnabulisme, associant cloche et orchestre à cordes dans une fervente prière nourrie de verticalité et de déploration. en livre une lecture claire et tendue qui séduit tout à la fois, par son implacable progression idéalement mise en place, par sa limpidité dans l'entrelacement en canon des lignes de la polyphonie, comme par la sonorité sombre et profonde des superbes cordes du Gewandhausorchester.

Hilary Hahn souffrante, c'est finalement la violoniste qui assure la poursuite du concert avec le Concerto pour violon d' (1883) dont elle donne une interprétation très convaincante par la pertinence d'une lecture très romantique, imprégnée de slavitude, préférant l'effusion à la virtuosité trop démonstrative, alliée à la somptuosité de l'accompagnement orchestral, parfaitement équilibré. L'Allegro initial s'ouvre sur trois accords solennels, bientôt relayés par une alternance d'épisodes lyriques et d'accès de virtuosité bien contenue, mettant en avant la petite harmonie de la phalange saxonne autant que la superbe éloquence d' dont on apprécie le legato sublime et le vibrato très expressif. L'Adagio suivant, joué enchaîné, fait la part belle à un dialogue plein de suavité avec la flute, soutenu par de beaux contrechants de cor, avant qu'un véhément appel de trompette ne marque le début de l'Allegro giocoso final au phrasé bondissant, nourri de danses et de thèmes populaires bohémiens (furiants, bois en imitation des « dudy » et dumka) pour achever dans la joie cette très émouvante et pétillante interprétation, suivie en guise de « bis » plus apaisé par une transcription pour violon d'un Adagio pour viole de gambe de Karl Friedrich Abel.

Chantre de l'indépendance finlandaise, conclut ce premier concert avec son éclatante Symphonie n° 2, composée en 1901, considérée par les Finlandais comme un chant de combat contre l'oppresseur russe, à l'instar de Finlandia. Elle se rattache au post romantisme de la période « nationale » du compositeur et se décline en quatre mouvements dont et le Gewandhausorchester offrent une lecture époustouflante de maestria (direction et performances solistiques). Annoncé par un grand thème pastoral, déroutant par son développement rhapsodique, l'Allegretto initial, imprégné d'attente, constitué de courtes cellules mélodiques, met en avant de magnifiques échanges instrumentaux avant que le chef letton ne rassemble tous ces éléments épars dans la reprise du grand thème lyrique initial (cor et cordes). Sombre mouvement qu'inaugurent contrebasses et violoncelles en pizzicatos soutenus par la complainte du basson, l'Andante peint un tableau crépusculaire (cordes et petite harmonie) où s'installe une pénombre inquiétante empreinte de gravité (timbales et cuivres). Haletant, entamé par des cordes virtuoses et virevoltantes le Scherzo à la puissance tellurique, impétueux et incisif (attaques de cordes) fait contraste avec un trio apaisé, au climat agreste porté par le hautbois, annonçant la péroraison finale, magnifiquement construite, toute habitée d'un souffle épique aux allures brucknériennes (cuivres) qui parachève cette grandiose interprétation.

Entre ciel et terre avec et

Les concerts se suivent mais ne se ressemblent pas au point de se demander si le programme de ce second concert, associant Mendelssohn et Brahms, correspond bien au répertoire de prédilection d'Andris Nelsons, plus habitué qu'il est de diriger des grosses formations symphoniques. Leipzig oblige, c'est avec la Symphonie n° 5 dite « Réformation » de que s'ouvre la soirée. Fortement spiritualisée, elle fut composée en 1829 en vue de la célébration du tricentenaire de la Confession d'Augsbourg (1530), document majeur de la Réforme protestante. Le projet avorta pour des raisons politico-religieuses et sa création n'eut finalement lieu qu'en 1832. Volontiers mal aimée (même de la part du compositeur), Andris Nelsons en propose une lecture originale, assez appuyée, où il force quelque peu le trait au risque d'en accentuer le caractère grave et sévère qu'on lui a souvent reproché. Après un début majestueux et solennel, l'Andante inaugural développe tout au long de l'Allegro con fuoco nombre de thèmes religieux, parmi lesquels le célèbre Amen de Dresde dont Wagner saura se souvenir dans son Parsifal, avec des entrées instrumentales successives qui permettent, une fois encore, de juger de la cohésion de la phalange saxonne sur un phrasé tout en relief, riche de contrastes et de nuances. Le Scherzo, où la légèreté mendelssohnienne fait un peu défaut du fait de la sonorité sombre des cordes, oppose la scansion appuyée des cordes à l'élégance pastorale du trio (petite harmonie). L'Andante est un court moment de rêverie lyrique et élégiaque, teintée toutefois d'une pointe de gravité, s'appuyant sur des cordes onctueuses et une belle cantilène de la flute avant que le Finale ne fasse feu de tous ses pupitres (cuivres véhéments et timbales) sous l'ombre tutélaire de Bach pour conclure en apothéose cet hymne orchestral à la gloire de la Réforme.

On connaît la difficile genèse du Requiem allemand de dont la composition s'étale sur plus de dix ans (1854-1868), reprise à l'occasion de différents épisodes douloureux survenus dans la vie de Brahms, comme la mort de Robert Schumann en 1856, ou encore celle de sa mère en 1865. Plus immanent que transcendant, terriblement humain, se nourrissant de consolation plus que de rédemption ou de résurrection, ce Requiem est une œuvre paradoxale par son mélange de modernité textuelle (Bible de Luther sans référence à une quelconque liturgie) et son relatif conservatisme musical (influences de Bach et Schütz notamment). Brahms le créa, dans sa version initiale en six mouvements, le 10 avril 1868, à Brême. Au mois de mai de la même année, il ajouta le 5e mouvement « Ihr habt nun Traurigkeit » consolidant l'architecture et l'équilibre de l'œuvre, autorisant ainsi sa création dans sa forme définitive le 18 février 1869 à Leipzig. Si la Symphonie Réformation manquait peut-être quelque peu de délicatesse, force est de reconnaitre que ce Requiem allemand manque singulièrement d'élévation et de ferveur, condamné à une plate immanence confinant rapidement à l'ennui. Si la qualité intrinsèque du Gewandhausorchester n'est assurément pas en cause, pas plus que le Chœur de l'Orchestre de Paris excellemment préparé par Richard Wilberforce, c'est sans doute dans l'agencement global des forces vocales et orchestrale, dans le manque de tension, ainsi que dans un duo de solistes sans éclat ( et ) qu'il faut chercher la faille pour expliquer notre relative déception…

Crédit photographique : © Denis Allard

Lire aussi : nos autres comptes-rendus des Prem's

(Visited 932 times, 1 visits today)
Partager