Avec l'Orchestre et le Chœur de la Scala de Milan, Riccardo Chailly livre aux Prem's un nouveau témoignage du lien étroit et complice qui le lie à l'institution milanaise depuis près d'une cinquantaine d'années.
Les forces de la Scala n'avaient que partiellement convaincu en 2023 lors de leur dernier passage au Théâtre des Champs-Élysées ; c'est aujourd'hui à la Philharmonie de Paris, qui bénéficie d'une acoustique irréprochable, que le maestro italien remet sur le métier ce périlleux exercice vocal et instrumental fait de la juxtaposition, sans support dramaturgique continu, d'extraits d'opéras de Giuseppe Verdi et de Gioachino Rossini. Bien qu'arrivant prochainement au terme de son mandat de directeur musical au sein de la prestigieuse institution milanaise, qu'il quittera en 2026 remplacé par Myung-Whun Chung, Riccardo Chailly n'a rien perdu de sa superbe dans son répertoire de prédilection.
À commencer par Giuseppe Verdi, compositeur iconique de la scène scaligère et du maestro milanais, dont il donne des extraits de pages célèbres et d'autres appartenant à des opéras moins connus. Le concert s'ouvre sur la Sinfonia de la Battaglia di Legnano (1849), opéra quasiment oublié qui oppose sur fond de conflit amoureux les troupes italiennes à celles de l'empereur Barberousse. Belle occasion pour Verdi de faire valoir ses aspirations nationalistes. La pittoresque et très narrative ouverture, d'une solennité toute martiale, met d'emblée l'accent sur l'acuité et la maestria d'une direction fougueuse, précise, parfaitement lisible, équilibrée et haute en couleurs, alliant dans un savant mélange contrôle et effusion, capable de susciter l'émotion en quelques notes, ainsi que sur les remarquables performances solistiques de la phalange milanaise (petite harmonie). Sollicité à son tour, le Chœur d'hommes « a capella » est bientôt rejoint par le Chœur de femmes dans un vibrant « Viva Italia » mêlant urgence et drame. Inauguré par le basson à découvert, le Prélude de I due Foscari (1844), opéra lui aussi quasiment oublié, étale les couleurs sombres de la palette verdienne dont atteste le Chœur d'hommes qui scande comme une menace les inquiétants mots « Silenzio, mistero ». Tout autre climat, celui du drame et des émois amoureux, avec l'immortelle Traviata (1853) dont le fameux Prélude met en avant des cordes lyriques à se pâmer, avec de sublimes pianissimos, introduisant ensuite le Chœur mixte (chœur des bohémiennes et des matadors) dont on admire l'impeccable diction et la rigoureuse mise en place. Avec Otello (1887) s'achève cette première partie, couronnée par les feux de joie « Fuoco di gioia ! » qui marquent le retour du héros, acclamé par un orchestre qui fait, lui aussi, feu de tous ses pupitres (cordes, petite harmonie, cor, harpes et percussions) sur un phrasé tout en relief, riche en nuances et contrastes, tandis que se noue le drame et que la jalousie se plante telle une épine dans le cœur d'Otello, annoncée par un superbe dialogue « Dove guardi splendono » entre chœur d'hommes et chœur de femmes.
Place ensuite à Gioachino Rossini et à ses grands « tubes » pour cette seconde partie dont Riccardo Chailly fait une véritable fête orchestrale qui débute avec l'étincelante ouverture de la Gazza ladra (1817) suspendue entre deux roulements de caisse claire. On y apprécie tout à la fois la clarté dans l'agencement des plans sonores, le phrasé bondissant avec nombre nuances rythmiques et dynamiques, ainsi que la formidable énergie dégagée par l'orchestre de la Scala. Mais tant de brio ne saurait faire oublier le drame de cet opéra semi seria dont le chœur « Tremate, o popoli » porte témoignage lors de la condamnation de la pauvre Ninetta, condamnée à mort pour le vol d'une petite cuillère subtilisée par une pie voleuse. Plus dramatique encore, Semiramide (1823) où « Ergi omai la fronte altera » inaugure en grande pompe un final fort de contrastes et de percussions, avant que Guglielmo Tell (1829), dernier des opéras de Rossini, ne referme ce beau récital dans un véritable feu d'artifice orchestral unissant les violoncelles dans une belle cantilène, le cor anglais et la flute dans un émouvant dialogue, et l'ensemble du Chœur milanais (excellemment préparé par Alberto Malazzi) dans une grandiose péroraison finale.
Crédit photographique : © Antoine Benoit-Godet / Cheeese
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