Pour sa cinquième version discographique, la comédie-ballet de Rameau adoube la passion de Valentin Tournet pour l'art du compositeur.
Cinq tragédies lyriques, six opéras-ballets mais une seule comédie-ballet au catalogue de Jean-Philippe Rameau : Platée, dont le scénario, utilisé en son temps pour moquer la disgrâce physique de certaine maîtresse royale (de batracien à Poisson, nom de jeune fille de la future marquise de Pompadour, il n'y a que quelques barreaux à gravir sur l'échelle sociale) évoquera davantage le syndrome toujours intemporel de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, aujourd'hui plus communément désignée par le terme de transfuge de classe.
Après Michel Sénéchal (1956), Bruce Brewer (1988), Gilles Ragon (1990), Marcel Beekmann (2010), le disque accueille aujourd'hui Mathias Vidal, dont les apparitions ramistes ont été saluées, notamment dans les formidables Boréades dijonnaises du tandem Haïm/Kosky (Prix de la meilleure coproduction européenne), dans le sérail de la grenouille bien-aimée des lyricomanes. Sa Platée s'ébroue dans le sillage de la plus ancienne, qui reste aussi de référence, celle de Michel Sénéchal. Ce que d'aucuns ont pu reprocher à un timbre parfois pointu dans l'aigu devient un atout dans un rôle où le hors-normes n'est pas censé être uniquement physique. Amusante, touchante, très investie, très attentive au mot, la Platée de Mathias Vidal, après s'être imposée à la scène, s'impose au disque dès un haletant Que ce séjour est agréable. Elle est très bien entourée. Zachary Wilder (en attendant d'être une future Platée ?) donne allure à Thespis et à un Mercure de premier plan (solaire Déesse qui régnez). Marie Lys ajoute une très opératique Folie à sa palette pyrotechnique. Le reste de la distribution est à l'avenant: Alexandre Duhamel, évidemment imposant en Jupiter et Juliette Mey, Junon à ravir, mais aussi d'une présence idoine : David Witczak (Cithéron et Satyre), Cyril Costanzo, (Momus), Cécille Achille (Amour et Clarine). Le Choeur de La Chapelle Harmonique déploie des trésors d'énergie articulatoire.
Après Hans Rosbaud, Jean-Claude Malgoire, Marc Minkowski, William Christie, c'est au tour de Valentin Tournet, après sa remarquable intégrale des Paladins, de s'immerger dans les marécages de Platée. Roborative voire déchaînée, joueuse (les glissandi sur la premier air de Platée, les soupirs sous son deuxième, le sublime Nymphes, les Aquilons de la fin du I ciselé à merveille), alerte (la Chaconne file à belle allure), mais également attentive au solennel qui passe (le majestueux Pour célébrer de Jupiter, mini-Descente de Polymnie avant l'heure), la version Tournet bondit et coasse à l'envi, définitivement loin de la version Malgoire, pourtant belle pionnière des versions modernes. La prise de son donne une grande présence à l'orchestre, met en avant le clavecin, la percussion, la verdeur des bois, les machines à « orages » (galvanisant final du I), établit la juste distance d'avec les chanteurs : n'étaient quelques pouffements conservés, on croirait un enregistrement de studio.
Modifié le 25/09/2025 à 10h25