En prélude d'une tournée qui se poursuivra en Europe de l'Est, Sir Antonio Pappano et le LSO proposent un programme éclectique et contrasté appariant l'ambiguë Symphonie n° 9 de Chostakovitch, la célébrissime Symphonie n° 5 de Beethoven et le rare Concerto pour violon de Britten interprété par la violoniste Janine Jansen.
Tout en contraste et haut en couleurs, ce concert du LSO fait tour à tour souffler la joie et la désolation sur la scène de la Philharmonie. À commencer par la très ambiguë Symphonie n° 9 de Dimitri Chostakovitch, dernière des symphonies de guerre, composée en 1945, dont Staline souhaitait qu'elle célèbre de façon grandiose la victoire sur les nazis. Loin des accents solennels de la majestueuse Symphonie n° 9 de Beethoven dont Staline rêvait, Chostakovitch composa, a contrario, cette petite symphonie aux allures chambristes qui se décline en 5 mouvements dont les 3 derniers sont joués enchainés. Antonio Pappano en livre une interprétation irréprochable, haute en couleurs, débutant par une véritable fête orchestrale dans laquelle la phalange londonienne brille de tous ses pupitres. S'y succèdent un Allegro initial imprégné d'une fausse joie débridée et ambiguë où se démarque particulièrement un piccolo espiègle ; un Moderato, entamé par un duo de clarinettes lancinantes et douloureuses, soutenues par des cordes envoutantes qui installent progressivement un paysage orchestral décanté d'où seule émerge la complainte éplorée de la flute ; un Presto très rythmique aux accents lugubres et sarcastiques qui fait la part belle à un beau récitatif de basson, avant qu'une marche à la dynamique inexorable, scandée par de graves sonneries au trombone, ne conduise à un Final (Largo et Allegretto) aux sonorités circassiennes, recrutant le tutti pour conclure cette remarquable interprétation.
Débutant comme une prière pour se terminer dans un cri, le Concerto pour violon de Benjamin Britten est certainement un des moins fréquentés du répertoire. C'est une œuvre rare composée en 1939 dont la violoniste Janine Jansen s'est faite la championne à la scène comme au disque. Il comprend trois mouvements joués sans interruption. Déroutant, extrêmement complexe, particulièrement ardu et éprouvant dans sa réalisation, il s'appuie sur des contrastes subintrants qui s'expriment dans l'alternance de moments d'effusion lyrique intense et d'épisodes de virtuosité fulgurante fougueusement rythmée. Une dualité structurelle dont Janine Jansen rend parfaitement compte, sans jamais perdre le fil conducteur d'une lecture flamboyante, d'une souveraine éloquence, à fort potentiel émotionnel. Le premier mouvement Moderato con moto donne immédiatement le ton : commencé dolcissimo par un motif de timbales et cymbales précédant un épisode lyrique qui associe flute et harpe, le phrasé se tend rapidement dans un agitato virtuose qui permet d'apprécier tout à la fois, la magnifique sonorité du Stradivarius Shumsky-Rode de 1715, le legato et la précision du jeu, la rigueur de la mise en place et l'équilibre entre orchestre et soliste. Porté par une complicité étroite avec Antonio Pappano, le Vivace fait étalage d'une virtuosité confondante dans une danse endiablée, chargée d'attente et de tension, d'où se dégagent le piccolo et le tuba avant que la cadence conclusive n'assure la transition avec la Passacaille finale, introduite par trois trombones lugubres d'une solennelle gravité : ensemble de neuf variations qui progressivement évoluent vers une péroraison sereine et lumineuse avant de s'éteindre dans le silence. Un émouvant « bis » emprunté à Bach achève en beauté cette première partie.
Célébrissime au point de résumer à elle seule la symphonie romantique, composée en 1805-1808, quasiment contemporaine de la Troisième et de la Sixième symphonie, la Symphonie n° 5 en ut mineur de Beethoven renoue avec la joie annonçant la future et grandiose Neuvième. Dans une interprétation juste par le ton comme par la note, Antonio Pappano conquérant se livre à un splendide exercice d'orchestre qui met en avant la prestigieuse phalange anglaise, tous pupitres confondus. Cohésion sans faille, phrasé tendu et haletant aux multiples nuances rythmiques et dynamiques, clarté des plans sonores, contrechants, performances solistiques de haut niveau (hautbois) animent un Allegro initial ouvert par l'iconique thème du destin. Lui succède un Andante plein de lyrisme, alternant zones d'ombre et de lumière, qui offre une large place aux cordes (altos, violoncelles) dont on admire la rondeur et le legato, sans oublier la rutilante petite harmonie et les véhémentes trompettes. Interrogatif et inquiétant, le Scherzo simule un combat (entre Homme et Destin) à grand renfort d'appels de cuivres (cor) et de cordes graves (contrebasses, violoncelles) avant que les timbales n'annoncent un puissant tutti triomphal précédant un Finale grandiose, énergique et victorieux.
Retour à une ambiance plus apaisée avec la non moins célèbre Valse triste de Sibelius donnée en « bis » pour conclure dans la sérénité (et les larmes !) cette magnifique soirée.