La dernière production de Aïda à Bastille en 2021, dans la mise en scène discutable de Lotte de Beer, n'avait que partiellement convaincu, cette nouvelle production, déjà créée au festival de Salzbourg, confiée à la plasticienne, vidéaste et photographe iranienne Shirin Neshat n'est guère plus probante, se réduisant, in fine, à une superbe scénographie où le théâtre est quelque peu oublié.
Malgré des révisions successives pour le festival de Salzbourg en 2017 et 2022, cette mise en scène de Shirin Neshat ne parvient toujours pas à convaincre ! Elle avait à l'époque fait couler beaucoup d'encre par son accumulation assez convenue d'images (vidéo souvent maladroite) et d'idées (collusion politique et religieuse), largement galvaudées, dont la répétition lassante sur toutes les scènes lyriques actuelles participe d'un nouvel académisme qui ne fait plus recette aujourd'hui, nous laissant, hélas, dans une coupable et triste indifférence. Certes le propos est louable qui s'élève contre la guerre, la violence, le fanatisme, l'exil et l'oppression, où transparait l'immense souffrance d'un Moyen Orient meurtri faisant écho à l'histoire personnelle de la metteuse en scène iranienne. Si le message est méritoire, quid de sa réalisation scénique ? Car c'est bien là que le bât blesse dans cette lecture réduite à une succession de tableaux, caractérisée par l'absence quasi complète de composante théâtrale : absence de direction d'acteurs qui se limite à des postures et des effets de manche, absence de rythme, statisme pesant et dramaturgie bien faiblarde…Alors, que reste-t-il qui puisse défendre cette proposition ? Sans nul doute, une splendide scénographie (Shirin Neshat est, répétons-le, photographe) des costumes chatoyants, exaltés par des éclairages parfaitement en adéquation avec le cube installé sur une tournette qui sert de décor unique à cette réalisation, tour à tour, temple, palais, tombe …Certains diront, avec raison, que c'est finalement assez peu ! On retiendra toutefois quelques beaux moments où la dimension dramatique refait enfin surface, notamment les nombreux duos et ensembles des actes II, III et IV où la musique nous accorde enfin ce que la mise en scène nous refuse…
La distribution vocale assez homogène, qui reprend pour partie celles des distributions précédentes, alterne le bon et le moins bon. Contre toute attente, la figure marquante chez les dames est celle d'Ève-Maud Hubeaux (Amneris) dont l'incarnation scénique, à la fois intrigante et vindicative, n'a d'égale que les qualités vocales : puissance, projection idéale, registre homogène depuis des aigus vaillants jusqu'à des graves bien timbrés. Face à elle, Saioa Hernandez campe une Aïda, un rien pâlichonne, particulièrement dans les deux premiers actes où la dramaturgie la dessert quelque peu. Son engagement scénique reste limité et son chant souffre d'un manque d'homogénéité, avec des aigus bien assurés, mais un médium peu sonore. Chez les hommes, le casting parait irréprochable. Habitué du rôle, Piotr Beczała chante certainement mieux qu'il ne joue, arguant d'un chant souple et facile avec des aigus ouverts et lumineux. Dans leurs rôles respectifs, tous bien chantants, le Roi (Krzyzsztof Basczyk) convainc par sa noblesse, Amonasro (Roman Burlenko) allie tendresse et autorité, tandis que le Ramfis d'Alexander Köpeczi impose le respect par son insolente stature vocale. Le Chœur de l'Opéra, à son habitude, se montre excellent de bout en bout.
Dans la fosse, Michele Mariotti essaie de soutenir autant que faire se peut une dramaturgie défaillante par une direction souple et vivante, riche en nuances rythmiques et dynamiques, toujours en parfait équilibre avec le plateau.
Rendez vous pris pour la prochaine révision, en espérant des jours meilleurs…