Pour son premier opus discographique pour le label Aparté le pianiste Dmitry Masleev, lauréat du prestigieux concours Tchaïkovski de Moscou en 2015, rend un vibrant hommage à ses deux compositeurs préférés, Franz Liszt (Totentanz et Rhapsodie espagnole) et Sergueï Rachmaninov (Rhapsodie sur un thème de Paganini) en dirigeant du piano le Svetlanov Symphony Orchestra.
La Totentanz (1835) est une série de variations sur le thème grégorien du « Dies Irae » (jour de colère) extrait de la messe de Requiem, magnifique occasion pour le pianiste russe de faire valoir toute la variété et la subtilité de son jeu. Les avis divergent quant aux œuvres qui auraient pu inspirer à Liszt cette œuvre terrifiante (gravure d'Holbein, peinture de Camposanto ou encore Nuit de Sabbat de Berlioz…) dont Dmitry Masleev nous offre une interprétation exaltante, puissante, chargée d'urgence, de menaces, d'affects et d'effets sonores. La première variation est un Andante en forme de marche écrasante rythmée par de grands accords plaqués soutenus par les timbales auxquelles s'associe l'intervention sarcastique du basson ; les deuxième et troisième variations intensifient la lourdeur du climat menaçant par une progression inexorable et d'étourdissants glissandos ; la quatrième est un Lento méditatif se développant sur l'entrelacement des lignes d'un piano très fluide et d'une mélancolique clarinette, avant que la cinquième variation ne renoue avec la virtuosité pianistique et orchestrale dans une coda cataclysmique éclatante de rythmes et d'éclats instrumentaux (cuivres, percussions). Superbe et envoutant !
D'un tout autre climat, dansant et jubilatoire, la Rhapsodie espagnole de Liszt (1863) met en avant le jeu fluide, perlé ou percussif, mais toujours virtuose, de Dmitry Masleev qui s'associe ici, avec bonheur et complicité, aux cordes lyriques du Svetlanov Symphony Orchestra dans cette version arrangée par Mikhail Petukhof pour piano et orchestre à cordes : magnifique ensemble de variations sur les thèmes de la Folia et de la Jota aragonaise au lointain parfum d'Espagne.
Variations toujours avec, cette fois, Sergueï Rachmaninov et sa célèbre Rhapsodie sur un thème de Paganini, (celui du Caprice n°24), véritable cinquième concerto pour piano (1934) dont Dmitry Masleev livre une interprétation enthousiasmante et colorée, (plus ardente que celle de Mikhail Pletnev avec le Rachmaninov International Orchestra) dont on apprécie : la dynamique et l'énergie dans l'Allegro initial (variations I-V) ; l'attente et le caractère jazzy de la variation VI ; le drame et la menace avec l'apparition du Dies Irae dans la variation VII, renforcée par la violence des variations IX et X ; le lyrisme émouvant contenu et la virtuosité des variations XI à XVII ; la beauté lyrique et suffocante, typiquement rachmaninovienne, de la variation XVIII, précédant la cavalcade finale des dernières variations (XIX à XXIV) et la réapparition du Dies Irae à l'orchestre.
Comme une sorte de bis un rien accrocheur et sirupeux, l'Adagio du Concerto pour hautbois d'Alessandro Marcello, arrangé pour clavier par J.S Bach, – quoique bien superflu – conclut en beauté ce remarquable enregistrement.