Après une tournée de quelques jours débutée au Festival Enescu, l'Orchestre National de France revient dans sa Maison de la Radio en compagnie d'Anne-Sophie Mutter, qui assure la création française d'Air – Homage to Sibelius de Thomas Adès.
Conçu pour la tournée du National à Bucarest, Vienne et Praque et marquée par la remise d'une récompense ICMA pour les Symphonies d'Enesco, le programme du concert sous la baguette du directeur musical Cristian Măcelaru débute et s'achève par les deux Rhapsodies roumaines op. 11 d'Enesco, en commençant par la plus douce et moins célèbre n°2. Bien colorée, celle-ci montre l'affect du chef pour cette musique, en plus de rappeler que l'œuvre du compositeur est normalement faite pour être abordée en deux parties, la première très dynamique et la seconde plus mélancolique.
En seconde moitié de soirée, une autre rhapsodie extrêmement rare vient s'intégrer avant la Rhapsodie n°1 d'Enescu. Il s'agit de celle en la mineur op. 14 B.44 de Dvořák, créée de manière posthume juste après la mort du compositeur. Comme beaucoup de ses œuvres, notamment ses quatre premières symphonies, la pièce affiche déjà une belle maîtrise technique et une identité propre à l'artiste tchèque, mais elle présente aussi de nombreux risques. Pour commencer, sa longueur de plus de vingt minutes lui ôte une unité stylistique et force à alterner à plusieurs reprises entre passages lents et rapides. Moins connu car moins bien écrit que les plus faciles Rhapsodies slaves op. 45, l'ouvrage profite d'un Orchestre National de France bien échauffé pour faire ressortir certaines parties propres à l'écriture de Dvořák, celles pour harpes par exemple, ou la façon d'ouvrir des segments par les contrebasses.
Toutefois, si l'Auditorium s'affiche presque complet, ce n'est pas pour ces raretés, mais avant tout pour entendre la grande violoniste Anne-Sophie Mutter. En première partie, sans partition, elle nous rappelle du haut de son splendide Stradivarius Lord Dunn-Raven de 1710 quelle grande interprète elle est depuis plus de 50 ans. Sans affèterie, elle déploie tout son style et donc une vision très romantique dans le Concerto n° 1 de Mozart, qu'elle emporte d'une vive dynamique au Presto. Avec un chef très attentionné et souvent tourné vers elle, la violoniste se voit bien accompagnée par un ensemble à la conception plus sobre et en cela plus classique de la partition. Comme elle souhaite donner toute la place à la création française en seconde partie, Mutter choisit d'offrir un bis juste après le concerto ; sans étonner personne, elle choisit la Sarabande de la Partita n°2 en ré mineur BWV 1004 de Bach.
Après l'entracte, il lui faut cette fois une partition pour présenter la pièce Air – Homage to Sibelius de Thomas Adès, avec un orchestre de nomenclature quasi identique à celle du concerto mozartien. Mais si l'on sait les qualités d'écriture de l'Anglais, capable de très grandes œuvres comme l'opéra The Exterminating Angel (repris l'an dernier dans une nouvelle production à Bastille), cette nouvelle partition dédicacée à Mutter et créée par elle à Lucerne en 2022 semble bien plus simpliste. On ne peut certes pas composer que des grandes pièces, mais ici, l'utilisation d'une unique cellule thématique pendant plus de quinze minutes, avec juste quelques variations adaptées dans des couleurs de froid polaire, rappellent la musique minimale simpliste de certains artistes d'Europe du Nord, sans parvenir à maintenir l'intérêt plus de quelques minutes.
Le National se réchauffe et réveille une partie du public avec la rhapsodie de Dvořák précitée, puis surtout avec la Rhapsodie roumaine n°1 d'Enesco. Ici, Măcelaru fait ressortir toute sa flamme pour dynamiser des musiciens qu'on croirait presque eux-aussi roumains, tant leurs instruments, dans les bois comme dans les cuivres, comportent les couleurs et la célérité attendues pour enflammer le chef-d'œuvre du compositeur. Et pour clore la soirée avec la même intensité, tous ajoutent un bis des mêmes origines, Hora Staccato de Grigoras Dinicu, dans une version pour violon et orchestre qui donne cette fois la place de soliste à l'excellente Sarah Nemtanu, en partance pour l'Orchestre de Paris après vingt ans à l'Orchestre National de France.