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Don Quichotte ouvre la saison de l’Opéra de Lausanne

Avec ce Don Quichotte de Jules Massenet qui fait salle archi-comble, l'ouverture de la nouvelle saison de l'Opéra de Lausanne confirme le bon goût de Claude Cortese, son nouveau directeur, dans sa démarche de présenter des œuvres jamais jouées à Lausanne.

Hormis Manon et Werther, les opéras de Jules Massenet n'ont guère eu la cote en Suisse Romande. A Genève, avec sa maison d'opéra en activité depuis 1879, il faut remonter en mars 1968 pour y voir un Don Quichotte de Massenet qui, entre parenthèse, affichait un certain José van Dam en Sancho aux côtés de la basse italienne Nicola Rossi-Lemeni dans le rôle-titre ! C'est donc avec un plaisir mêlé de nostalgie qu'on assiste à cette production lausannoise.

Dans sa note d'intention, le metteur en scène s'appuie principalement sur deux phrases du livret pour construire son propos. Celle qu'émet Dulcinée en parlant de Don Quichotte : « Oui, peut-être est-il fou…mais c'est un fou sublime. » et les mots de Sancho à l'égard de son maître : « Enfin…il est heureux…respectons son délire. » Dès lors, Ravella place son Don Quichotte dans un monde de rêve éveillé, que son héros partage entre poésie amoureuse et démence visionnaire. Le metteur en scène répond-il à ses envies ? En partie mais avec une belle intelligence de moyens. A noter d'abord que l'équipe l'accompagnant dans sa démarche scénique s'avère de premier ordre. Comme la chorégraphe Rebecca Howells qui, dès le lever de rideau, organise en un ballet stéréotypé « à la Laurent Pelly » admirablement enlevé d'une petite foule joyeuse vêtue de frac, haut-de-forme et gants blancs, comme sortie d'une soirée chez Maxim's, qui envahit le plateau appelant la fantasque Dulcinée à devenir la reine de la fête. Avec ses éclairages, le britannique créée des ambiances saisissantes à l'exemple de cette image, l'une des plus émouvante de tout le spectacle, avec Don Quichotte prisonnier des brigands, debout, les poignets entravés, les bras en croix tel un Christ, déclamant son « Je suis le chevalier errant qui redresse les torts… ». Les costumes de sont plaisants et bien dessinés en particulier celui de Dulcinée aguichant sans vulgarité. On sera un peu plus réservé sur le décor () qui, s'il apporte souvent la poésie, peine à convaincre dans la fin du premier acte, avec ces bouts de phrases découpés descendants des cintres et dans l'Acte 2 qui voit Don Quichotte se battre contre des moulins. Là, peut-être que des ombres menaçantes auraient suffit à créer l'ambiance des angoisses et des délires du héros plutôt que ces énormes mains se balançant depuis les coulisses et les cintres.

Quant à la distribution, elle s'avère à la hauteur des attentes. Pas facile de reprendre le flambeau que Fiodor Chaliapine a laissé dans l'imaginaire en dépit du fait que personne aujourd'hui ne peut prétendre à avoir entendu ce monstre sacré dans ce rôle. Et si on ne parle que du rôle-titre, il reste important de noter que cet opéra ne se borne pas à ce rôle, aussi important soit-il mais qu'il est tributaire de la complicité avec Sancho, le compagnon, la conscience de Don Quichotte. A ce jeu, l'Opéra de Lausanne a eu le fin nez d'engager un binôme de chanteurs qui, en mars de l'an dernier, se mesuraient avec succès dans cette même oeuvre sur la scène de l'Opéra municipal de Marseille.

Si avec (Don Quichotte) on note une amplitude parfois dérangeante du vibrato, il faut lui reconnaître une remarquable aptitude au dosage de son instrument pour ne jamais l'amener aux risques de la fausse note. Il chante «vrai» même si parfois la phrase manque du souffle, de l'ampleur, de l'ouverture qui suscite l'émotion et que requiert le personnage, amoureux fou de rêve, de Dulcinée. Totalement engagé dans son personnage, gesticulant, sautant, se jetant à terre, se relevant, se battant en brandissant une canne en guise d'épée, il ne peut logiquement soigner son chant dans ces moments d'intensité théâtrale. Là, la voix, la ligne de chant lui échappe au profit du théâtre. Ce n'est donc qu'immobile (ou presque) qu'il donne le meilleur de son art du chant comme dans son agonie. C'est dans ces derniers instants de l'opéra que l'émotion touche à son comble. Artisan de ces instants privilégiés, Massenet bien sûr, qui, en mélodiste accompli, offre un interlude de violoncelle d'une grande profondeur et d'une mélancolie débordante qui ne peut qu'amener à une mort de Don Quichotte des plus émouvantes.

C'est alors qu'on découvre pleinement la magnifique interprétation de (Sancho). Jouant jusqu'ici la discrétion devant Don Quichotte, la relative timidité vocale qui le caractérisait s'avère au contraire être d'une exceptionnelle et intelligente sensibilité artistique. Don Quichotte est le maître, Sancho n'est que la conscience, le serviteur, le laquais. Ce ne sera qu'au dernier instants de vie de Don Quichotte qu'il se révèlera dans toute sa compassion. A ce jeu, est magnifique d'humanité.

Grâce à son expérience de la scène, Stéphanie d'Oustrac (Dulcinée) a toutes les qualités pour incarner avec brio la jeune femme pour qui sa liberté n'est pas à partager. Vocalement, elle use de son instrument avec l'intelligence nécessaire pour éviter les pires écueils. Certes, la ligne de chant n'est pas toujours idéale mais la truculence de son personnage l'autorise à certains écarts vocaux acceptables. Dans les rôles secondaires, on aime l'autorité vocale du ténor (Juan).

Le Chœur de l'Opéra de Lausanne, très bien préparé par , est joyeusement efficace. Dans la fosse, l' brille de mille feux sous la baguette d'un bien inspiré.

Crédit photographique : © Carole Parodi

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