Au Festival Piano-Piano de Rungis, le duo Ludmila Berlinskaia et Arthur Ancelle proposait un programme consacré à deux concertos pour deux pianos de deux compositrices. Après le romantisme américain de Dana Suesse, l'ironie russe d'Olga Viktorova en première française.
Tout récemment enregistré et officiellement publié aux éditions Artchipel, le Concerto en mi mineur pour deux pianos et orchestre de Dana Suesse est redonné par Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle au Festival Piano-Piano de Rungis, avec l'Orchestre Colonne sous la direction de Julien Leroy. Lors de cette édition marquée notamment par un concert en duo des trop rares pianistes britanniques Paul Lewis et Steven Osborne, le Théâtre de Rungis osait donc ce programme symphonique titré Girl Power.
D'une vingtaine de minute en quatre mouvements, le concerto de l'Américaine native du Kansas démontre une technique d'écriture supérieure tant pour les pianos que pour l'orchestre. Cette élève de Siloti puis de Nadia Boulanger a retenu de ses cours de composition l'utilisation de méthodes autodidactes pour façonner sa technique d'orchestration. Sur deux instruments Kawaï, le duo Ancelle & Berlinskaïa affiche un accord musical constant pour délivrer tout autant les accents romantiques de l'œuvre (on pense souvent à Rachmaninov) que ses tonalités jazzy (évidemment Gershwin, pour lequel Dana Suesse composera un concerto), avec un style d'écriture personnel, même si moins remarquable que celui d'une artiste de la même période comme Florence Price. Plein d'idées, le concerto manque sans doute de maturité pour toutes les coordonner. Pour autant, il profite d'ambiances évocatrices, toujours bien mises en avant à l'orchestre comme sous les doigts des deux pianistes, même si on préfère ce soir la clarté d'Arthur Ancelle au toucher plus ferme de Ludmila Berlinskaïa.
En seconde partie, le pianiste revient sur scène avec une paire de baskets rouge vif, dont nous allons vite comprendre la raison : alors que le duo jouait le Concerto pour deux pianos de Poulenc lors d'un festival populaire à Iekaterinbourg, une partie du public n'avait pas été capable de se concentrer, car Arthur Ancelle était entré en scène en baskets de cuir noir. Présente pendant cette représentation et marquée par l'originalité stylistique du pianiste autant que par la réaction du public, Olga Viktorova a alors par la suite pensé à en tirer un concerto, surtitré « It all began with Arthur's shoes ».
Dans un trop-plein d'idées n'ayant rien à envier au premier ouvrage de la soirée, cette partition ajoute tous les instruments et objets possibles à un orchestre de formation moyenne. Mais si l'ironie fait partie intégrante de l'écriture et fonctionne parfois, une partie du kitsch aurait sans doute pu être encore un peu plus contenue dans la révision de la partition inédite de ce concert. Dès l'introduction, un sifflet utilisé par le chef d'orchestre annonce le ton, bien que cette excentricité ait déjà été entendue mieux intégrée chez d'autres compositeurs. On reste par la suite plus que circonspect devant les marteaux-jouets en plastiques avec lesquels les deux pianistes frappent leurs instruments à la coda du final Happy End. Pourtant, là encore, la technique de composition pour les pianos parvient à intéresser par un modernisme tonal très rythmique qui n'hésite pas à agencer de manière cocasse des moments de clusters plutôt bien gérés, ou à utiliser dans l'orchestre une batterie pour accentuer les effets de cadencement.
En bis, le duo referme le programme en restant dans le thème Girl Power de la soirée avec une joueuse Danza Gaya de la compositrice britannique Madeleine Dring, écrite pour hautbois et piano ou pour deux pianos.