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Roberto Alagna rayonnant dans Tosca à Bastille

Le ténor incarne pour la première fois Mario Cavaradossi à l'Opéra national de Paris, dans la mise en scène de reprise pour la sixième fois depuis sa création en 2014. Sous la baguette de la cheffe , une superbe distribution qui compte , de retour dans le rôle de Tosca.  

On ne s'attardera pas sur l'inusable et magnifique mise en scène de , disparu en mai dernier, et auquel Alexander Neef, le directeur général de l'Opéra national de Paris, rend hommage en lui dédiant l'ensemble des représentations de l'opéra vériste de , qui s'échelonnent jusqu'en mars 2026. Nous l'avions largement commentée notamment à l'occasion de la production de 2022. Rappelons tout de même ses principaux éléments, ceux qui en font la force. D'abord cette gigantesque et omniprésente croix en bois, qui surplombe, sombre et pesante, le salon de Scarpia à l'acte 2 puis, prenant des reflets d'acier, le campement militaire, lieu de l'exécution de Cavaradossi à l'acte 3. Elle se trouve au sol à l'acte 1, ses branches délimitant deux espaces intérieurs d'une imposante église : l'un à jardin, dévolu à la prière, avec ses bancs et ses cierges allumés, le mur de l'autre étant recouvert de la grande toile que l'artiste Mario Cavaradossi est en train de peindre, représentant non pas Marie-Madeleine, mais un enchevêtrement de corps féminins dénudés. Autre décor marquant, l'hémicycle tapissé de rouge de l‘appartement de Scarpia, dont la porte bien gardée se refermera prenant au piège Tosca, proie du cruel et cynique baron. Enfin, ce campement militaire à l'écart de Rome et de son château Saint-Ange, où, au point du jour, Caravadossi s'effondrera sous les tirs non simulés d'un bataillon, l'opéra s'achevant sur une allégorie de la mort de Tosca, qui s'éloigne vers une intense lumière blanche en fond de scène. 

Passons au plateau vocal qui a contribué à remplir les rangs de la salle pleine comme un œuf, orchestre et balcons compris. On savoure notre bonheur tout du long ! L'ouvrage commence très fort avec les trois voix qui ouvrent le premier acte. D'abord celle dense, sombre d' qui campe de façon très crédible un Angelotti traqué et aux aguets. Puis celle bien sonnante et homogène d' qui, subtilement expressif dans son rôle de sacristain, module avec finesse les inflexions de ses répliques tout autant qu'il caractérise avec justesse un personnage attendrissant, drôle parfois, aux manières bon-enfant, mâtiné d'une touche d'obséquiosité. 

Très attendu ce soir, fait une entrée époustouflante, tant par sa présence scénique immédiate et irradiante dans l'habit de Mario Cavaradossi, que par son chant au phrasé ample et sa voix lumineuse superbement projetée au timbre d'une jeunesse en rien altérée par quarante ans de carrière. Quelle ardeur, quelle générosité et quelle séduisante liberté dans le chant, et toujours quelle aisance sur scène ! Son émission vocale toujours assurée, il lance à la fin de l'acte 2 un « Vittoria ! Vittoria! » puissant et rayonnant, tandis qu'à l'acte 3, il serre les cœurs avec l'émotion poignante de son « E luccevan le stelle » au legato admirablement conduit. Il forme un duo splendide et harmonieux avec dans le rôle de Tosca, embarqués ensemble dans un lyrisme renversant de beauté dès l'acte 1. La chanteuse, dont on avait fait grand éloge il y a trois ans, impressionne toujours autant par ses qualités vocales, son volume sonore, son timbre riche et épanoui, chaleureux, légèrement capiteux, sa palette de nuances large au service d'une intensité expressive à la dimension de son personnage et de son caractère passionné et fougueux. Elle fait montre d'une prestation spectaculaire dans la violence de son affrontement avec Scarpia, et est largement applaudie pour son « Vissi d'arte » touchant d'émotion et de délicatesse. prête au baron Scarpia sa voix bien projetée au timbre homogène et glacial, donnant à son personnage davantage d'ambigüité que de noirceur, cachant sa perversité et son machiavélisme sous une intonation lisse, et trompeuse. Mais la façon dont il redouble de cruauté et d'autorité en prenant Tosca dans ses rets fait frémir, dans une scène toute théâtrale, où la tension est portée à son acmé. 

campe un Spoletta craintif et soumis, exécutant discret, dans l'ombre de Scarpia. (Sciarrone) et (le geôlier) s'acquittent comme il se doit de leurs courts rôles. Et le jeune Aloys Bardelot-Sibold de la Maîtrise de Paris (CRR de Paris) de sa voix fluette au joli timbre, chante avec grande justesse et de façon très touchante son air de petit berger l'acte 3.  

Les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Paris montrent une belle cohésion dans les phrasés amples, la texture sonore, les nuances et les respirations de l'ouvrage, que la direction souple et précise d' magnifie. Le souffle est constant, les couleurs travaillées. Sa battue se resserre à l'acte 2, suivant la tension dramatique croissante sur le plateau. 

Les voix mêlées du Chœur de l'Opéra de Paris et de la Maîtrise de Fontainebleau donnent un son impressionnant par sa puissance et son large ambitus faisant sonner ensemble à l'unisson de l'orchestre les tessitures les plus éloignées. Saluons le travail des lumières de Jean Kalman, et la scénographie de Christof Hetzer ainsi que la qualité des costumes de Robby Duiveman : la scène du Te deum qui clôture l'acte 1 offre, outre le son grandiose, une image saisissante, dans le côtoiement de l'or, du blanc et du noir des costumes. 

Le parterre accueille avec une ovation debout tous les artistes de la soirée, tandis que les applaudissement fusent dans la salle entière. Encore beaucoup de représentations à venir jusqu'à mars 2026, avec à l'affiche quelques nouvelles voix dans la distribution à partir de décembre. Celle-ci restera marquée par l'arrivée à Bastille de en Mario, au comble de son art. 

Crédit photographique © Vincent Pontet/ Opéra national de Paris

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