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L’amour en lettres et en musique avec Isabelle Huppert, Bryce Dessner et Alice Sara Ott

À l'auditorium de la Fondation Louis Vuitton et en lien avec l'exposition consacrée à Gerhard Richter, le spectacle réunissant , le compositeur et guitariste et la pianiste croise les mots et les sons dans un même geste artistique.


Love, Icebox – letters from to
est un recueil édité par Laura Kuhn d'une quarantaine de lettres dont dix-huit ont été retenues ici. Elles sont écrites par (1912-1992) de 1942 à 1946 et adressées à celui qui deviendra son partenaire scénique durant plus de quarante ans, le danseur et chorégraphe (1919-2009) : cris d'amour du musicien fixé sur son papier à musique tandis que l'amant parcourt le monde avec sa troupe de danseurs, hymne à la nature de l'homme-mycologue, journal de bord du compositeur et réflexions sur l'art et la musique en train de se faire… Au centre du plateau, est à sa table en costume bleu azur, entourée de trois pianos dont chacun révèlera sa fonction au cours du « mélologue », la comédienne passant par les coulisses au mitan du spectacle pour revêtir un costume rouge comme « la musique-feu ». Les textes sont lus en français, avec quelques « envois poétiques » en version originale.

Une scénographie de sous les lumières de Tom Visser

Flotte au-dessus de nos têtes une nappe sonore très douce avant la lecture de la première lettre. L'électronique de Benjamin Lanz va irriguer l'espace-temps de la performance, assurant les fondus-enchaînés d'une lettre à l'autre, meublant les déplacements de la pianiste ( tout en blanc) d'un instrument à l'autre, tout en traitant en direct et spatialisant les sonorités des pianos telles des ombre-traces projetées à travers les haut-parleurs. Balançant entre son admiration pour Gerhard Richter et sa fascination pour Cage, le compositeur et guitariste états-unien a composé une dizaine de pièces courtes – Love Icebox 1 et 2, Cage lament, Four Walls, Cage-Richter 3-5, etc. – jouées sur le piano à queue installé à jardin ; s'entrelacent dans un flux continu les Gnossiennes  1 et 3 d' (véritable mentor de Cage), entendues sur le piano droit central, tournant le dos au public ; à cour, le piano à queue est préparé (gommes, vis, boulons, etc. dans les cordes) pour les pièces de écrites juste avant sa célèbre série des Sonates et interludes (1946-1948) où les sonorités de l'instrument s'émancipent (sonneries, clochettes, petits gongs), rejoignant parfois celles du gamelan d'Indonésie.

Faire résonner la pensée de Cage

La concentration de la comédienne est sans faille et la voix toujours bien projetée qui s'inscrit volontiers sur la musique : celle de Satie, adepte de la « musique d'ameublement »,  les Gnossiennes laissant suffisamment d'espace aux mots du texte. Le débit de notre diseuse s'accorde avec le temps long de la musique, instaurant un véritable dialogue avec l'instrument. La voix parlée se règle également sur les rebonds rythmiques du piano préparé qui réamorce l'énergie et mesure la porosité entre le texte et le son : – « Fais-moi une danse qui soit une danse d'amour sexe, sans frustration […] ». La musique de Dessner est le plus souvent entendue seule – Cage Lament, Infinite Chorale : After Cage – dont le processus d'écriture, le travail rythmique et le déploiement du registre pianistique focalisent l'écoute. Moonscape : After Richter, la pièce la plus développée, s'amorce sur un motif obstiné autour duquel gravitent les figures virtuoses (chutes mélodiques en cascades) laissant apprécier l'assise rythmique d'Alice Sara Ott et la puissance de son jeu. Faisant advenir la ligne mélodique, Lullaby for Jacques and Brune est un moment de grâce, accueillant la voix d' sur le balancement doux des accords de .

Ce dernier regarde vers Purcell et la mort de Didon dans Love, Icebox 1, sorte de « ground » (basse obstinée) funèbre qui accompagne les mots de l'amoureux éconduit dans la dernière lettre (18), « une prière pour le sommeil, peut-être », dont la conduite dramaturgique et le toucher délicat d'Alice Sara Ott sont à fleur d'émotion.

Crédits photographiques : Isabelle Huppert © H&K Jens Koch (Bryce Dessner) ; Hannes Caspar (Alice Sara Ott) 

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