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Les Contes d’Hoffmann à Lyon par Michieletto : des Contes pour enfants ?

Sydney, Venise, Londres… et aujourd'hui Lyon, où présente sa spectaculaire vision de l'unique opéra d'Offenbach dans une version légèrement modifiée.

On avait adoré in loco aussi bien l'esthétisme que l'intelligence de son Béatrice et Bénédict, opéra particulièrement délicat à cerner. Plus complexe encore sont Les Contes d'Hoffmann. Choudens, Oeser, Kaye, Keck : quelle version choisir de l'opéra fantastique non encore validé par Offenbach, décédé en pleine répétition d'icelui… quelle gageure que l'unification d'un scénario tripartite autour de trois figures féminines qui n'en sont peut-être qu'une…

Au regard ultra-contemporain et militant de Mariame Clément à Salzbourg (sans poupée qui dit oui, sans chanteuse que l'on empêche de chanter par amour, sans femme fatale) succède celui de , assez peu démarqué de la lettre du livret, si ce n'est que son goût pour le merveilleux conduit le metteur en scène italien à imaginer Les Contes d'Hoffmann en opéra pour enfants. L'opéra fantastique devient un opéra féerie. La Muse de l'écrivain s'y dédouble : au mot « écolier », comme le dit le livret, se substitue le mot « perroquet » comme il ne le dit pas. Un perroquet qu'un Nicklausse ailé manipulera en ventriloque, sorte de Jimmy Criquet au côté d'un Hoffmann aussi crédule que Pinocchio, dixit Michieletto. Au soir de sa vie, son Hoffmann semble avoir fait de l'absinthe son ultime compagne et, dans le sillage de la fée verte (une sorte de Mary Poppins bien frappée avec son sac à main gigantesque), le bestiaire s'agrandit (irruptions dansées remarquablement musicales d'une multitude de Fées Clochette, d'une poignée de souriceaux, d'un géant et même d'un diable entouré de sbires cornus) dans un ahurissant déferlement de couleurs. Adieu le funèbre monochrome des Contes de Chéreau !

Pour Michieletto, Les Contes d'Hoffmann sont « une histoire d'amours ». Amour de jeunesse, premier amour même, généralement attiré par une coquille vide (Olympia en matheuse prodige au collège). Amour raisonné à l'âge adulte (Antonia en danseuse handicapée au conservatoire). Amour sans amour (Giulietta en femme fatale de salon). Trois histoires et autant d'échecs que Michieletto tente d'expliquer : au moment de la perte du reflet d'Hoffmann (probablement le plus impressionnant trucage qu'on ait vu de ce moment a priori impossible à réaliser), Lindorf/Coppélius/Miracle/Dapertutto quitte sa peau de diable et se transforme en doppelgänger du héros. Une conclusion troublante (le pire ennemi d'Hoffmann serait … Hoffmann) dont le codicille (la Stella, prochaine conquête impossible, après avoir joué les passe-muraille au prologue, réapparaît à l'épilogue en …homme) ne manque pas d'interpeller. Et enfin, alors qu'on s'attend au pire, Michieletto termine sur une fin un peu roublarde que les uns pourront prendre pour une fin heureuse au contraire des autres auxquels elle ne manquera pas d'apparaître des plus questionnantes avec son image ultime d'un Hoffmann bien cabossé semblant inviter le public à s'adonner à son tour aux effets de l'absinthe.

D'une légèreté trompeuse, serti dans un cadre de scène d'un noir de jais, et régulièrement magnifiée par la colorimétrie hypnotique d'Alessandro Carletti, le décor de Paolo Fantin (une boîte aux multiples ajustements) console le spectateur de l'actuelle austérité scénographique sévissant sur les scènes lyriques. Triangulaire, puis quadrangulaire une fois que son plafond s'est élevé à vue en se trouant de mini-verrières desquelles pleuvront des chiffres, des violoncelles, un perroquet encagé, cette scénographie est un enchantement pour l'œil convié à voyager d'une salle de classe (Olympia) à une salle de danse (Antonia) avant de s'échouer dans l'interlope d'une soirée à la Eyes wide shut (Giulietta), chacun de ces trois espaces étant de surcroît percé de niches luminescentes, sortes de vitrines de l'inconscient du héros : un œil, un tutu, un miroir.

La production, habile à réunir petits et grands, tenants de la tradition et friands de l'innovation, souffre cependant de quelques bémols musicaux. D'abord l'idiomatisme tout relatif de la prononciation française confiée à une distribution dont le cosmopolite s'explique mal en regard de l'actuel excellent vivier de chanteurs français. Celui du Lyon Opéra Studio fournit comme à l'accoutumée de très bons rôles secondaires (, , – ce dernier un peu juste avec les aigus de Nathanaël, Jenny Ann Flory – intenses Muse et Mère) mais aussi un des premiers rôles : Olympia permet au timbre charnu d' de faire montre de moyens assez prometteurs. croque un amusant Spalanzani principal de collège, Vincent Le Texier un directeur de Conservatoire plein d'émotion contenue, tandis que , maître de ballet bien malmené par ses petits rats potaches, s'affirme en Frantz au cours d'une scène hilarante. (l'apocryphe Scintille, Diamant! refait surface) compense le perfectible du verbe par l'effroi de l'incarnation. est un Nicklausse dont le ramage épanoui dans Vois sous l'archet frémissant peine à exister sous le plumage du costume. Le rôle de Giulietta semble fait pour , qui, après une Barcarolle un peu en demi-teinte, s'enflamme magnifiquement par la suite. Quelque peu bridé par les aigus dont couronne son chaleureux medium, l'Acte d'Antonia n'atteint pas le sommet d'émotion habituel. Dès sa Chanson de Kleinzach, l'Hoffmann d'Iván Ayón Rivas montre une santé qui sidère tout en faisant craindre pour la suite. Bien à tort, l'Acte de Giulietta devant beaucoup à la puissance, certes plus verdienne qu'offenbachienne, du ténor péruvien, aussi crédible en écolier en culotte courte qu'en vieillard chenu et grenu.

Cela fait longtemps que l'on n'a vu un chœur s'amuser autant sur un plateau d'opéra, sans que le chant n'en pâtît : homogène, puissant et vivant, faisant plaisir à voir, le chœur de l'Opéra de Lyon est de ceux-là. A la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, canalise presque sans faillir au fil des 2h50 de cette version sans dialogues parlés, adaptée à la dramaturgie, un plateau débordant d'énergie, parfaitement préparé par Shaun Rennie et Gianluca Cataldo, les deux complices que , metteur en scène d'opéra (et bientôt réalisateur) aujourd'hui parmi les plus sollicités de la planète, a dépêchés dans la Cité des Gaules pour ces Contes d'Hoffmann accueillis en vrai succès populaire.

Crédit photographique : © Paul Bourdrel

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