Tzimtzum pour ensemble, guitare électrique, percussions et grand orchestre de la compositrice allemande Sarah Nemtsov est la singulière rencontre du mysticisme de la kabbale et d'une haute exigence compositionnelle à vocation universelle.
Avant de nous plonger dans l'exigeante tétralogie orchestrale que représente Timtzum, quelques mots sur Sarah Nemtsov. Née Reiter en 1980 à Oldenbourg, au Nord-Ouest de l'Allemagne, sa mère est peintre, profondément influencée par Kafka, Celan, elle s'inscrit dans la Nouvelle Objectivité, réalisant des portraits à la fois poétiques et empreints de mystère, où les personnages anonymes ou connus, tels Virginia Woolf ou Sviatoslav Richter, n'ont plus de bouche, comme sans voix face à la dévastation inimaginable de la Shoah. Son mari Jascha Nemtsov, pianiste et musicologue née en Sibérie en 1963 et formé à Leningrad, travaille à la reconnaissance de la Nouvelle école juive et ses compositeurs de la première moitié du XXᵉ siècle, avec une édition remarquée de disques chez Hänssler Classics. Autant dire que lorsqu'à 40 ans la compositrice entame la composition de ce qui deviendra une « tétralogie pour ensemble soliste et orchestre », construite à partir du mysticisme de la Kabbale et qu'elle dédiera à Henry G. Brandt (1927-2022), important rabbin d'Etat qui fut un modèle pour elle à Oldenbourg, elle s'engage dans une création aux résonnances culturelles et spirituelles profondément personnelles.
Tzimtzum (en français tsimtsoum), est le concept qui s'attache à décrire ce moment du monde avant sa création. Selon le kabbaliste Isaac Louria (1534-1572), le tsimtsoum est ce phénomène où Dieu s'est retiré, contracté, concentré, pour donner à la création l'espace nécessaire pour que quelque chose d'autre puisse exister. La compositrice y exprime sa fascination pour ce concept d'une force créatrice qui est quasiment un négatif.
Les quatre pièces Reshimot (2020), Sh'vira (2020), Tikkun (2021) and K'lipot (2023) sont toutes composées pour l'ensemble Nikel (saxophone, ensemble de percussions et guitare électrique) auquel s'ajoute l'Orchestre symphonique de la WDR de Cologne dans les deux pièces qui ouvrent et ferment le cycle. S'agissant de pièces à dimension mystique (au demeurant dépourvues d'éléments de musique populaire juive comme de tics ésotériques ou New Age), il n'y a pas de progression dramatique à proprement parler, mais des états successifs, tour à tour éthérés, à la limite du bruitisme, ou convulsifs. Amateurs de structures narratives qui vont droit s'abstenir ! Après une belle concentration de matière et de complexité d'écriture dans Reshimot, le tissu instrumental s'allège nécessairement dans les pièces suivantes, l'ensemble s'étendant plus de 70 minutes.
L'élément le plus remarquable est l'intégration de la guitare électrique, qui ici sonne avec un naturel et une évidence rare dans un ensemble acoustique. Yaron Deutsch, fondateur de l'ensemble Nikel (entendu dans le triple album Hugues Dufourt chez Bastille Musique, Clef d'Or ResMusica 2024) en est l'explication. Reshimot est la première collaboration artistique avec la compositrice mais celle-ci s'intéresse à son travail et à l'ensemble Nikel depuis une dizaine d'années. Dans la notice du disque, Sarah Nemtsov s'explique sur son attrait pour l'instrument : « Il y a quelque chose de très fragile dissimulé dans la complexité du jeu – il n'y a à peu près nulle part où se cacher. Cette vulnérabilité m'attire. Dans le contexte de la musique classique, l'instrument est libre, dégagé de toute entrave, frais. Et en même temps, il a fortes associations et connotations qui lui sont propres avec d'autres genres (rock, pop, jazz), que j'aime incorporer. Et puis il y a une autre chose qui m'intéresse dans la guitare électrique c'est la nature hybride que cet instrument personnifie ». Un autre propos de Sarah Nemtsov aide à comprendre sa démarche, en particulier pour cette grande œuvre : « La dimension mystique a ouvert une fenêtre pour moi vers quelque chose d'abstrait, d'ouvert, d'universel. Elle correspond à mon doute intérieur grandissant et à mon scepticisme face à la situation du monde qui est à vous faire dresser les cheveux sur la tête ».
Fruit d'une recherche spirituelle en réponse au fracas du monde et d'une collaboration étroite avec l'ensemble Nikel et Yaron Deutsch, Tzimtzum accroche l'attention autant par l'intégration réussie de la guitare électrique dans une formation d'instruments acoustiques, que par un périple sonore qui s'affranchit des structures narratives convenues.