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La nuit transfigurée d’Anne Teresa De Keersmaeker

poursuit la transmission de son répertoire au Ballet de l'Opéra de Paris avec trois pièces d'époque et d'inspiration différentes. Un programme qui va crescendo…

Quatre ans après le succès de Rain sur la scène de Garnier, confie trois nouvelles pièces de son répertoire aux danseurs parisiens. Le Quatuor N°4 de Bartok, chorégraphié en 1986, est emblématique des débuts de la compagnie Rosas. Quatre filles en jupette noire et godillots, cheveux lâchés, qui tournoient et s'élancent dans de petits gestes nerveux. Mouvements d'épaule, tours enchaînés, déboulés qui s'achèvent les deux mains dans les cheveux, claquements de talons… Si l'on retrouve intacts les mouvements de la chorégraphie d'origine, le côté brut et sauvage de la jeune chorégraphe flamande d'alors est ici quelque peu affadi. Les godillots sont devenus des bottines de cuir souple, les mouvements de bras sont empreints de joliesse, la sauvagerie mal aimable a été domptée. On se souvient de la captation vidéo de cette pièce par Herman Sorgeloos dans une salle des fêtes désaffectée, qui lui donnait une toute autre dimension !

Dans les années 90, a commencé à introduire des garçons dans ses pièces. Dans Die Grosse Fuge, ils sont sept, face à une seule fille, . D'abord un peu corsetés, dans des costumes noirs, ils gagnent en aisance, décontraction et naturel au fil de la pièce. Cette pièce, d'une construction rigoureuse, illustre le talent musicologique d'Anne Teresa De Keersmaeker, qui pratique l'art de la fugue avec subtilité. Sa danse n'est jamais savante, mais elle donne à lire la musique, rendant visible les nuances, les accents. Il y a ici plus d'énergie, plus d'engagement que dans la pièce précédente dont l'interprétation était trop timide.

Pièce éminemment romantique, La nuit transfigurée est un éblouissement tant musical que chorégraphique. Créé en 1995 à la Monnaie de Bruxelles, c'est un poème visuel et tourmenté, dans lequel se fondent avec passion les danseurs de la compagnie. On n'est pas loin de certaines pièces majeures de Pina Bausch et Angelin Preljocaj qui ont marqué ce même plateau. Le couple est ici dupliqué dans de multiples figures d'hommes et de femmes, dans un décor inspiré et cinématographique de troncs de bouleaux figurant une forêt au clair de lune. La magie opère dès les premiers gestes furtifs et plaintifs esquissés par la subtile . Plus présente, presque massive, incarne à son tour la femme qui porte l'enfant d'un autre. Les figures féminines sont toutes distinctes, silhouettes, robes, cheveux différents. Les hommes, en revanche, sont presque identiques et rassurants, à l'image de et de qui apaisent l'angoisse des femmes. L'écriture d'Anne Teresa De Keersmaeker devient dans cette pièce dramatique presque narrative. C'est un étonnement ! L'inspiration est clairement sculpturale dans les portés. Plusieurs d'entre eux ont en effet été imaginés à partir de sculptures de Rodin. Et l'ensemble est d'une sincérité, une sensibilité absolument émouvante. Les danseurs du Ballet de l'Opéra de Paris l'ont déjà fait leur.

Crédits photographiques : © Agathe Poupeney – Opéra de Paris

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