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Roland de Lully par Christophe Rousset

Au début janvier, donnaient une rareté à l'Opéra de Lausanne : Roland de Lully. Onzième des douze tragédies lyriques du compositeur, avant-dernière de ses collaborations avec Philippe Quinault, Roland (1685) était l'une des œuvres préférées du célèbre Français actif sous Louis XIV.

Le label Ambroisie, pour lequel a récemment enregistré les Suites anglaises de Bach (sur un superbe Rückers magnifiquement capté), semble avoir noué des liens étroits avec le claveciniste et fondateur des Talens Lyriques. On ne peut que louer la démarche consistant à éditer cet opéra en première mondiale, tant il apparaît difficile de trouver des enregistrements complets d'œuvres de Lully ! Il y a bien çà et là des extraits de ballets, d'opéras et quelques chœurs, mais trouver dans les bacs des disquaires un coffret proposant l'une ou l'autre de ces douze tragédies lyriques dans une interprétation récente relève de l'exploit.

L'intérêt de cette parution ne réside en l'occurrence pas dans le seul fait de trouver une œuvre baroque de plus ; ce Roland de Lully autorise des plaisirs musicaux de tout premier ordre. Et rares de surcroît ! D'un point de vue instrumental d'abord, l'œuvre comporte de longs intermèdes purement orchestraux. Lors des vastes ballets conçus par le compositeur de la cour du Roi Soleil, ritournelles et danses françaises s'égrainent pour constituer des pages magnifiques. À ce titre, signalons afin de la mettre en exergue, la présence de la longue et magnifique chaconne qui clôt le troisième des cinq actes. La griffe de et des Talens lyriques est immédiatement reconnaissable dans ces passages de pure musique. La précision des attaques et le traitement affûté des contrastes soulignent la beauté des timbres de l'orchestre de Lully. Toute l'orchestration de cette tragédie est généreuse, colorée. Le rôle des instruments y est amplifié afin de donner corps aux enjeux éthiques qui agitent les divers personnages de la pièce, mais aussi pour épouser de la manière la plus chatoyante possible toute la féerie de l'ouvrage ; une féerie qui fait bien plus que simplement s'insinuer aux entournures puisqu'elle innerve l'entier du récit de Quinault.

Certes, les questionnements inhérents à l'attitude du chevalier face à son devoir que renferme le livret de Quinault peinent aujourd'hui à trouver un écho dans notre société. Ils réaffirmaient cependant en leur temps l'attachement aux valeurs de la chevalerie. Si l'intrigue peut à la rigueur ne pas retenir l'attention de l'auditeur, le texte de Quinault, lointainement inspiré de l'Orlando furioso d'Arioste, se laisse entendre avec une rare intelligibilité sur cet enregistrement. La langue de Molière est réputée difficile à chanter et est d'ailleurs souvent estropiée, même par des interprètes originaires d'un pays francophone. Sur ce Roland, il est par contre loisible de suivre l'intrigue et les dialogues sans concentration forcée, et ce tout au long des trois disques renfermant l'œuvre. L'entier de la distribution plaît par cet aspect non négligeable du traitement du texte. C'est peut-être ce naturel-là qui permet à des composantes plus directement musicales de s'épanouir pleinement. On ne peut en effet que réaffirmer le bien que l'on pense de la brochette de chanteuses et chanteurs rassemblés par . Annamaria Panzarella en Angélique déploie un chant affirmé et souple à la fois dont la vigueur s'équilibre avec l'autorité vocale de (rôle-titre). Le Médor d' retrouve au disque la présence vocale qu'il n'avait pas toujours à la scène. Sa voix de fin ténor se soumet avec ductilité aux nuances qu'appellent la musique ancienne et sa clarté de timbre séduit tout particulièrement. Les prestations de (Témire) comme de la Fée principale campée par convoquent elles aussi tous les éloges.

Quant aux rôles secondaires et au Chœur de l'Opéra de Lausanne, il se joignent avec bonheur à l'entreprise et se plient aux exigences théâtrales avec un aplomb de bon aloi. Quel bonheur que de pouvoir graver un opéra entier au terme d'une série de représentations ! Le fait que toutes et tous aient vécu l'ouvrage sur scène offre une plus-value certaine. Avec cet enregistrement, on se situe idéalement et comme par magie, à la frontière du studio et du « sur le vif ». L'équilibre de la captation et sa respiration intérieure resplendissent de surcroît continûment. La douceur des bois répond à la vivacité des cordes, alors que les parties de clavecin perlent alentour. La prise de son réalisée par les ingénieurs de Musica Numeris relaye les musiciens et chanteurs pour en exalter les qualités à la perfection.

Voilà une parution significative qui ne devrait pas échapper à celles et ceux qui désirent depuis longtemps voir l'un des fers de lance français de l'ère baroque, , se parer des plus beaux atours discographiques.

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