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Double anniversaire à Glyndebourne

Cet été, le Festival d'opéra de Glyndebourne fête deux anniversaires à la fois : sa soixante-dixième saison et le dixième anniversaire de l'inauguration de son nouveau théâtre.

Cela avec deux nouvelles productions dirigées avec un égal bonheur par le Directeur musical . Une fois n'est pas coutume, le festival s'est ouvert avec un spectacle relativement décevant : La Flûte enchantée de Mozart, sixième production maison depuis la légendaire mise en scène de Carl Ebert dirigée par Fritz Busch en 1935 que EMI réédite régulièrement dans ses collections d'archives. En vingt-six saisons de festivalier nous avons pu aussi y applaudir celle de John Cox dans les délicieux costumes de en 1978 et, beaucoup moins iconoclaste que ses mises en scènes mozartiennes américaines, celle de en 1990. Cette année c'est le metteur en scène britannique , bien connu pour son travail sur Shakespeare, qui officiait avec la complicité d'Anthony Ward. Malgré la présence dans le somptueux programme du festival d'un texte très sérieux de Rodney Milnes sur la symbolique de «La Flûte», Noble a réalisé la sienne en la dépouillant de toutes ses références maçonniques et même de sa gravité. Sans trahir, certes, mais sans tenir compte de la complexité de l'œuvre. Le résultat est assez plat avec quelques bons moments grâce notamment aux fantastiques animaux façon comédie musicale et aux éclairages raffinés de Jean Kalman, mais déçoit beaucoup de la part de celui qui a réalisé un inoubliable Retour d'Ulysse dans sa Patrie de Monteverdi en 2000 au Festival d'Aix-en-Provence. Déception aussi par la distribution, trop disparate, avec un excellent Tamino, le ténor slovaque et la très musicienne, à défaut d'avoir l'épanouissement nécessaire, Pamina de Lisa Milnes. Curiosité, Papageno était chanté par un jeune baryton-basse, originaire de Samoa et né en Nouvelle-Zélande, nouvelle star outre-Manche et qui a ouvert cette saison des Proms londoniennes. Avec une présence physique indéniable, et une voix vraiment trop sombre pour Papageno, il aurait certainement fait mieux dans Sarastro que le titulaire . Le seul élément indiscutablement réussi de la soirée était la direction de qui, à la tête du si léger Orchestra of the Age of Enlightment, privilégiait la théâtralité et donnait malgré tout une cohérence à cette «Flûte» peu mémorable.

Sans en abuser, le Festival de Glyndebourne raffole de ces fameux double bills qui permettent d'entendre deux opéras dans la même soirée et de pratiquer in style dans ce haut lieu du pique-nique la formule entrée plat principal dessert, cette fois sur le thème de la cupidité et de l'avarice ! Cette année, l'entrée était plutôt austère mais délicate pour les amateurs de raretés : Le Chevalier avare un des trois opéras de Sergei Rachmaninov, composé, d'après l'une des Petites tragédies de Pouchkine, en 1904 et créé deux ans plus tard au Théâtre Bolchoï de Moscou. Dans un décor assez sombre et convexe de Vicky Mortimer la soirée était mise en scène par Annabelle Arden, deux nouvelles recrues pour Glyndebourne. L'intrigue en est assez simple : Un Chevalier se voir refuser par son père riche et avare une aide financière. Il en appelle à l'arbitrage de son souverain mais son père ne survit pas à cette violente altercation. Divisée en trois scènes, la pièce repose vocalement sur les épaules du père, le Baron, (rôle de basse créé par Chaliapine) chanté ici magistralement et avec des trésors de couleurs vocales par le russe qui doit assurer dans un long air-monologue tout le second tableau. Le reste de la distribution, presque entièrement russe, ne déméritait pas et autant le Chevalier (Richard Berkeley-Steele) que le Duc (Albert Schagidullin) étaient parfaits. Pour étoffer une action un peu mince, Annabel Arden avait imaginé d'y ajouter un figurant funambule, l'extraordinaire Matilda Leyser, qui se promenait dans les hauteurs, rampait sur les parois de ce décor aux allures carcérales comme une présence arachnoïdienne, sans que l'on puisse vraiment bien saisir le sens profond de ce personnage accessoire.

Après le long pique-nique où chacun était libre de ne pas respecter le thème imposé de la soirée, le dessert était plus méditerranéen avec le très solaire Gianni Schicchi extrait de Il Trittico de Puccini. Matilda Leyser faisait le trait d'union avec le précédent en donnant au cadavre du pauvre Buoso une dimension assez comique. Située dans la concavité du décor précédent, l'acte puccinien était transposé à l'époque de sa création à New York en 1918. Beaucoup d'Italiens dans la distribution et, comme à Paris récemment (voir article sur le site), c'est qui donnait un relief particulièrement réussi au personnage éponyme. Mais l'ensemble de la distribution très italienne était très bien équilibré même si l'on distinguait plus nettement parmi les silhouettes de cette impayable famille en mal d'héritage la Zita de Felicity Palmer et la Ciesca de Marie McLaughlin ainsi que le Rinuccio très charmeur de . Mais, là encore, les plus grands éloges vont au chef russe , Directeur musical du festival et qui, pour sa troisième saison à Glyndebourne, cette fois à la tête du , a fait preuve de sa grande habilité de chef et d'un bel éclectisme devenu rare en ces temps de spécialisation forcenée.

Crédit photographique : © Festival de Glyndebourne

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