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Richard Hickox : Sous le soleil de Londres

Un vaillant chevalier qui meurt au XIVe siècle, au désarroi de son contemporain Jean Froissart, chroniqueur français de son état, puis un demi-millénaire plus tard de celui d'Elgar, compositeur anglais. Brahms, le cœur brisé par son amour impossible pour Clara Schumann confie à Gœthe le soin d'exprimer son état dépressif : « Ah, qui saura apaiser la douleur / de celui pour qui le baume est devenu poison / et qui a puisé la haine des hommes dans la plénitude de l'amour ». Enfin Mendelssohn dans sa Première nuit de Walpurgis convoque Satan : « Vite! Munis de tridents et de fourches / De braises ardentes (…) / Chouettes et hiboux, Joignez vos cris à nos hurlements! ». Rude programme… n'était Sir .

Car le chef anglais n'est pas d'un naturel dépressif. Chauffé au soleil de Sydney où il assure la direction musicale de l'Opéra d'Australie, il baigne dans le Londres tout de swing des comédies musicales, où il est notamment Chef associé du London Symphony Orchestra. Les solistes réunis ce soir sont britanniques et habitués du chef (exception faite d'), et tous vont s'inscrire dans sa battue animée, claire, dramatique, plus dynamique que tragique, qualités reconnues dans l'interprétation de the Dream of Gerontius d'Elgar (lire la chronique de notre collaborateur Laurent Marty) l'an dernier à Toulouse.

On remercie le chef anglais de défendre l'ouverture Froissart (1890) car, on l'oublie trop souvent, il n'y a pas que la musique allemande dans la musique post-romantique! Ceci dit cette œuvre de jeunesse (Elgar a 33 ans) émoustillera en premier lieu les admirateurs de l'écriture luxuriante de… Richard Strauss. L'interprétation de la Rhapsodie pour contralto de Brahms (1869) surprend de prime abord par son absence de pathos. On se promettait un désespoir gœthéen, on reçoit une consolation bienfaisante, dispensée par une concentrée, à l'éloquence sûre.

C'est dans la Première nuit de Walpurgis de Mendelssohn (1831, entièrement révisée en 1842) que chacun, le chef, l'orchestre, les solistes et les chœurs veillera à démontrer la part la plus éclatante de lui-même. Sorte de grande cantate avec orchestre selon le compositeur lui-même, cette œuvre est une succession d'atmosphères dramatiques dont on comprend, par le feu et la couleur qui s'en dégagent, qu'elle avait tant plu à Berlioz, il y voyait même un des chefs-d'œuvre de son auteur. Les solistes s'investissent pleinement, la tension et le sérieux d'un – valant bien le bel ouvrage d'un . impressionna peut-être le plus. Il fit merveille dans un rôle extrêmement bref mais millimétré de… 18 mots, avec une articulation claire, un dialogue avec le chœur d'homme parfaitement en place, une présence physique réelle. Reste que le chœur se taille la part du lion (au demeurant il serait plus exact de parler de la part de la lionne car c'est elle qui chasse, tue et s'attribue les meilleurs morceaux de la bête, mais laissons cela). Comme chez Berlioz, le chœur est un personnage à part entière, il n'illustre pas l'action, il est l'action, et la façon dont il dialogue avec rappelle les prédictions de la Cassandre s'adressant à son peuple dans Les Troyens. Visiblement préparé avec minutie, le chœur rebondit, tumultueux ou féérique. Un régal.

Mais un régal bien court, car la Nuit dure à peine une grosse demi-heure. Pour une œuvre qui est un patchwork extrêmement plaisant mais sans réelle unité dramatique (encore un trait berliozien!), on souhaiterait réentendre tel ou tel numéro en guise de bis (pour tout dire, avouons un faible pour le chœur du cinquième numéro). Tous ces musiciens réunis, les choristes au firmament, toute cette flamme, le public ravi, le chef à l'entrain communicatif… Alors? Alors rien. Quelques rappels et puis s'en vont. Telle est la sévère loi du concert classique, on n'est pas non plus là pour plaisanter, et on traitera une Nuit de Walpurgis de manière aussi sacrée et insécable qu'un Parsifal ou une Neuvième Symphonie de Beethoven. Sir Hickox, nous vous en conjurons, vous qui venez de Londres où vous avez les Prom's et où vous savez vous amuser avec la musique classique, aidez-nous à libérer les bis qui ne demandent qu'à jaillir des mains et des poumons de nos musiciens! En quelque sorte, Messieurs les Anglais, tirez les premiers!

Crédit photographique : © : DR

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