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Philippe Herreweghe dirige Mahler et Bruckner, entre naufrage et triomphe

« La musique de Mahler est une musique de chef ». Cette assertion méprisante a longtemps collé à la réputation de , justifiant la disgrâce posthume dans laquelle sa musique était tombée. L'assertion est bien entendu fausse, mais pas au point d'en faire une musique de non-chef.

Or le cycle du Knaben Wunderhorn que nous avons eu l'occasion d'entendre fut d'un point de vue orchestral particulièrement affligeant, pâtissant de la direction ectoplasmique de , d'une brutalité molle, sans énergie ni ligne directrice. Un profond ennui, allongé par le choix du chef belge d'ajouter à la sélection usuelle le lied « Das himmlische Leben », final de la quatrième symphonie, dirigé de façon morose et compassée, et qui ne donne certes pas envie de l'entendre dans la symphonie complète. Vocalement, le résultat ne fut pas meilleur, car on a eu droit à un affligeant numéro de cirque vocal de . Multipliant les ports de voix et les effets dignes du vérisme le plus vulgaire, le baryton allemand, malgré ses trucages vocaux, est un chanteur parfaitement ennuyeux, qui singe les intonations de Dietrich Fischer-Dieskau, mais sans avoir le centième de son génie d'interprète. Les limites du ridicule sont souvent dépassées par ce chanteur qui semble vouloir faire don de ses tripes fraîches au public : il roule de grands yeux dans Der Schildache Nachtliedcomme dans un film expressionniste allemand des années 20, se tord de douleur dans le Lied des Verfolgten im Turn, et se complait dans un Wo die schönen Trompeten blasen à la morbidité gore. Dans ce contexte déprimant, la voix saine et franche, la musicalité simple et sans trucages de sont un soulagement et un plaisir, malgré quelques duretés dans l'aigu, et un timbre relativement banal.

Affligé par ce médiocre cycle mahlérien, on craint le pire pour la suite du concert, mais ce pire n'est pas venu, et on a même eu droit à une interprétation fort intéressante de la symphonie Romantique de Bruckner. Le premier mouvement est assez sec et froid, manquant de la démesure et du souffle des grands espaces, mais bien mené, d'une façon naturelle et fluide, et si les appels du cor peuvent sembler un rien prosaïques, ils sont d'une maîtrise sans défaut. L'Adagio est encore plus intéressant : le thème est exposé assez crûment, sans fard, mais Herreweghe creuse progressivement le discours, demandant enfin chaleur et expressivité aux cordes. L'atmosphère est celle d'une triste procession, un convoi funèbre peut-être, mais dans un son léger, presque en suspension, et dans un tempo preste. Le scherzo est lui aussi pris rapidement, triomphal, d'une vigueur communicative, il s'interrompt brusquement pour un trio très élégant, tout en finesse et en transparence, qui passe à côté de la rusticité de ce ländler paysan, mais l'option est néanmoins intéressante et originale. Grande réussite également, un dernier mouvement grandiose mais pas écrasant, dont la structure complexe est magnifiquement mise en valeur, sans que la tension retombe, et dans lequel le thème du premier mouvement est réexposé dans tout son éclat, avant une coda magistrale.

L' ne se montre pas très convaincant dans ce répertoire germanique, manquant de cohésion et de discipline, et de sonorité agressive et trouble. Quelques solistes se distinguent : le grand Marcel Ponseele au hautbois, le corniste Luc Berge, la timbalière Marie-Ange Petit dans la première partie, mais l'ensemble manque de liant et de routine, et l'apport des instruments d'époque est finalement peu marquant. Une soirée qui confirme ce que les derniers concerts semblaient révéler : est un chef symphonique très contestable, mais un très bon brucknérien.

Crédit photographique : © DR

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