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Du beau son mais peu de passion

Orchestre de Cleveland

Les invités de prestige se succèdent en ce début de saison à la Philharmonie de Luxembourg. Après Riccardo Muti et le Philharmonia Orchestra, avant Lorin Maazel et le New York Philharmonic, le , accompagné de son directeur , venait pour la première fois au Grand-Duché, en prélude à une tournée européenne devant le mener à une résidence de cinq soirées au Musikverein de Vienne.

Le concert débute par la navrante Chamber Symphony de , une musique sans commencement ni fin, suite de bruits à la syncope vaguement jazzy, à peu près aussi mélodieuse qu'un orchestre en train de s'accorder. Il est vraiment étrange de faire perdre son temps à un orchestre comme Cleveland, même en formation réduite, pour lui faire jouer une musique aussi peu intéressante, qui est à l'art symphonique ce que le bol de carotte râpée accompagné d'une eau de Vichy est à la gastronomie. Heureusement, cette œuvre ennuyeuse ne dure qu'un quart d'heure, et après une pause, on peut enfin écouter ce qui fait l'intérêt principal de ce concert : la Symphonie n°9 de Mahler. Entendre un orchestre comme Cleveland dans une œuvre pareille est un plaisir rare, un privilège, car ses musiciens ont un niveau individuel hors du commun, chaque solo est parfaitement maîtrisé, tout en se fondant dans un ensemble d'une cohésion sans faille. Capable des couleurs les plus subtiles et de la luminosité la plus ardente, l'orchestre n'a pas son pareil en matière de transparence et de finesse de la texture sonore. Une prestation orchestrale de cette qualité, mêlant grandeur symphonique et légèreté chambriste, aurait mérité un chef plus inspiré ce soir-là que .

Excellent technicien de la direction, le chef autrichien est capable d'obtenir les plus fines nuances en matière de sonorité et de dynamique, et réalise une mise en place impeccable, mais il sculpte un objet froid et sans âme, très beau extérieurement, mais pétrifié. Le premier mouvement débute bien, avec une très poétique et pudique présentation du thème principal, mais s'enlise très rapidement dans une résignation maussade. Cet hymne qui devrait déborder d'amour de la vie se transforme en une complainte de dandy fatigué. Le contresens est flagrant, mais maîtrisé et mené à terme, ce qui n'est pas le cas d'un deuxième mouvement brutalement expédié, sans saveur populaire et sans ligne directrice. Le Rondo burleske est le mouvement le plus réussi, mené tambour battant, il vire parfois à la démonstration de puissance orchestrale, mais est d'une ironie grinçante très à propos. L'Adagio final retombe malheureusement dans un climat blafard et glauque, sans perspective de salut, sans chaleur ni humanité, avec des phrasés mécaniques et des solos instrumentaux proprets et dépassionnés. Qui plus est, la fin du mouvement, qui, à défaut de passion, aurait pu nous valoir des pianissimi impalpables et des jeux de couleurs prodigieux est défigurée par les toux bruyantes de quelques énergumènes qui ont confondu la Philharmonie avec un sanatorium, et totalement déconcentrés, on a expédié la fin comme s'il s'était agi d'affaires courantes.

Crédit photographique : © Roger Mastroianni

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