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Quelle Tosca aujourd’hui ?

Tosca, probablement l'opéra le plus joué au monde, continue d'opérer sa fascination sur le public. C'est la bonne affaire des théâtres lyriques.

Le Grand-Théâtre de Genève l'a bien compris, réservant deux distributions pour assurer les douze représentations (affichant complet) prévues jusqu'au dernier jour de l'an. Le public est ravi. Il a entendu « ses » airs. Il a vu un spectacle. Il a été ému par le dévouement de Tosca, par la vaillance de Cavaradossi, et révolté par la vilenie du baron Scarpia. À la sortie, on pouvait même entendre quelques personnes fredonnant le « E lucevan le stelle ». Contrat rempli donc!

Pas si vite. Le succès populaire de cette Tosca est plus certainement à attribuer à la musique de Puccini qu'à son interprétation. Avec un correct sans plus, il a fallu attendre l'ouverture du 3ème acte pour que insuffle de l'émotion à son orchestre. Peut-être était-ce parce qu'il pressentait l'un des plus beaux moments de la soirée quand des coulisses s'élève, merveilleusement conduite, la voix de Marton Krasznai, chantant admirablement la pastourelle. Car dans cette distribution, les rôles secondaires sont si bien chantés qu'ils laissent aux rôles principaux une impression d'à-peu-près fort désagréable. Ainsi, comment ne pas louer la générosité avec laquelle (le Sacristain) investit son chant et son jeu théâtral. Tout comme l'impressionnant Alexander Anisimov (Cesare Angelotti) portant la prosodie de son petit rôle aux portes de la perfection vocale. Malgré l'antipathie qu'on peut porter au personnage du second de Scarpia, force est de reconnaître que (Spoletta) en compose un personnage d'une rare vilenie sans pour autant s'éloigner de la musique de Puccini.

Dans le rôle du peintre, le ténor (Mario Cavaradossi) affiche de brillants aigus contrastant avec un médium plus effacé. Son « E lucevan le stelle » final le montre au mieux de son talent mais, est-ce faire preuve d'artiste que de se réserver ainsi pour l'air final? Manquant manifestement de musicalité, le baryton (Scarpia) déçoit. La voix affectée d'un ample vibrato, il hurle plus qu'il ne chante, couvrant de ses clameurs immenses un texte qu'il ne prononce plus. Alors qu'on attend un personnage mesquin, il offre l'image d'un homme bestial.

Dans le programme, l'éditeur illustre le propos de l'opéra en publiant quelques photographies des grandes Tosca de l'histoire de l'art lyrique. Ainsi l'image de côtoie celles de Maria Callas, de Monserrat Caballé et de , peut-être la plus grande Tosca du siècle. Leurs prestations ont marqué à jamais la mémoire de chacun d'une empreinte indélébile de sons, de cris, d'expressions, de mots. Ainsi le « Assassino! » que lance Maria Callas à Tito Gobbi dans son enregistrement avec Victor de Sabata glace le sang. Le « Vissi d'arte » de capté à Dallas en 1979 (elle avait alors 69 ans!) est bouleversant aux larmes. Chacune porte en elle une théâtralité exacerbée, fruit d'un investissement total dans le personnage excessif de l'actrice Floria Tosca. Des furies véhémentes se défendant bec et ongle devant l'irrationnelle puissance de Scarpia. Dans cette optique, la soprano géorgienne (Floria Tosca) est trop affable. Empruntée, manquant de puissance vocale, elle n'est que l'ombre de la Tosca, femme entière, outrancière, blessée. Il est vrai que devant la brutalité vocale de , la soprano géorgienne est désemparée. Si son beau « Vissi d'arte » révèle la femme sensible et atteinte dans son âme, ses colères, son dégoût face à Scarpia manquent singulièrement de férocité, laissant le spectateur sur sa faim.

Hormis quelques incongruités (comme l'installation des décors par quelques soldats avant que ne débute l'opéra), la mise en scène de Uwe Eric Laufenberg est profondément respectueuse de l'œuvre. Le discours scénique est clair et la direction d'acteurs efficace, tout au plus on regrettera, au moment du Te Deum, le ridicule alignement au cordeau du chœur (par ailleurs magnifique!) sur les côtés de l'église de Sant'Andrea.

Si la mise en scène et les décors ne laissent pas un souvenir inoubliable de ces soirées, pourquoi ne pas avoir profité d'allumer la scène genevoise avec une « grande Tosca »? Mais, quelle Tosca aujourd'hui? Certes, elles ne sont pas légion mais encore faut-il avoir la volonté de les engager. Les moyens de le faire étaient là. En effet, les décors et la mise en scène de cette Tosca sont ceux d'une production du Grand-Théâtre de 2001. En la remontant, on réalisait une économie substantielle qui aurait certainement permis d'engager des chanteurs d'un niveau supérieur à celui de ceux présentés ici.

Crédit photographique : © Isabelle Meister

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