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Richard Wagner, le grand retour

Depuis le Parsifal programmé à l'époque d'Henri Maïer, aucune œuvre de n'avait occupé l'affiche à Montpellier. La production tonique de Tristan und Isolde signée avec Friedmann Layer au pupitre de l'Orchestre national de Montpellier récompense une pause jugée un peu longue par le public.

Si l'on attend les chanteurs au pied de la scène, dans les rôles écrasant des deux protagonistes, voire celui de Brangäne et du Roi Mark, l'époque le veut ainsi, quid de la mise en scène ? Bonne nouvelle, nous avons été emportés d'entrée de jeu, par une vision emblématique qui place le drame au chapitre de la légende intemporelle de l'amour mortel par le désir assouvi. Jean Pierre Vergier habille tout son monde, à quelques détails près, avec de longs manteaux et procède par touches discrètes pour les décors de complément. En s'appuyant sur la composition vidéo de François Gestin, l'assimilation de quelques accessoires aux projections de prises de vues aériennes ou lointaines, reconstitue les lieux de l'action. Un fort de la côte d'Irlande, placé en haut à droite de l'écran géant accompagne une partie du voyage, plus loin dans le temps, un bateau à quai, le second acte se déroule face à l'horizon apaisé, alors que seule une torche éclaire la scène, au troisième acte le sol forme un tapis bosselé et noir qui ondule, sur la gauche…Kareol. Tristan gît sur un étroit brancard qui, avec des effets d'éclairage, se transformera au cours de son agonie en une barque solitaire livrée aux flots, toujours noirs, ayant envahi la place, tandis qu'Isolde à ses côtés, s'affaisse dans ce néant à la fin de Liebestodt…

La toile de fond s'anime de l'immensité de la mer, de ses revirements intermittents de teintes et d'intensité climatique et de scansions incessantes qui rythment les humeurs et les événements. Mer et musique ainsi liées, inlassablement disent et répètent que, de la voile noire à la voile blanche, de la mort à la vie et de l'amour à la mort, la fascination de l'anéantissement porte Tristan et Isolde.

De blond doré à gris rose, de bleu vert à vert noirci en variations de vagues roulant vers le sable ou battant la raideur des pontons, l'eau génitrice et rédemptrice s'impose. Comme source du « dit » et du flot musical, liés en un espace en surimpression à l'écoute. Très fortement influencée par le fameux « Ich höre das licht ! » (J'entends la lumière) prononcé par Tristan, cette régie du drame captive fortement l'auditeur. Il est pris par l'ouïe et par la vue en étau, les sens mis en émoi par un orchestre voluptueux et soigné, soudé à l'action, qui porte le chant en osmose sous la baguette de Friedmann Layer, avec des relais très forts dont le principal se situe à l'échange du filtre, alors un immense triangle gris, effilé pointe vers le bas, pouvant figurer soit l'éclat de l'épée de Tristan qu'Isolde autrefois retira du corps de son fiancé Morold, ou bien le réceptacle du filtre. Et même, peut-être, les deux. Le prétexte de la haine, déguisée en invite à la mort dont sortirait le filtre d'amour coupable et libérateur. Ainsi tout devient clair, la vague musicale s'accouple à l'image allégorique du tourment d'Isolde et de l'abandon de Tristan.

Isolde est portée jusqu'à l'extase par Hedwige Fassbender. La voix large timbrée de dense clarté dorée, aux aigus triomphants, assure l'emportement rageur et l'ivresse impétueuse du premier acte, l'attente et l'abandon frénétique de la suite, avec le don total d'une intensité physique incandescente. Un chant de mort intériorisé, émis dans l'intensité d'une alchimie de fièvre et de résignation.

Le Tristan de , embrasse à la perfection l'amante superbe. Même lumière du regard, même jeunesse, même élan irrésistible des corps et du chant. Une fusion de la prosodie en chuchotements, puis accentuations crescendo qui s'empare d'eux et les portent dès leur premier enlacement, au même langage amoureux divinement mortifère vers l'extrême éblouissement. Ce heldentenor à ambitus trempé de lyrisme mordant, porte le dernier acte comme une exhortation déchirante, sans pathos, chaque phrase musicale accomplie comme un pas vers l'au-delà. Il ferait belle figure à Bayreuth.

Une réserve pour le Roi Marke de Xiaoliang Li, émission fiable sur le plan technique mais dénuée d'émotion. Son « mir Tristan » n'offre rien qu'un moment d'ennui. Déception aussi pour le Melot d'André Heybœr, incertain sur le plan vocal et inexistant en scène. Wolfgang Shöne, compose, en habitué du rôle, un Kurwenal, roide et acerbe au premier acte, d'un dévouement apitoyé au troisième. La voix porte bien, le phrasé est juste, en accord parfait avec une tessiture de baryton allemand chaleureuse et nuancée.

La surprise attendue était la Brangäne de . Étonnante et française ! Ayant souvent fourbi ses armes sur la scène du Corum, elle attise le répertoire versatile de Mozart à Strauss, dans la ligne des Dames des grandes années, 60/80, par une ligne authentique de chanteuse à l'aigu large, au médium intense et gainé. Et après sa Carmen, assurée avec l'élégance d'une panthère, sa superbe Salomé, la voici aux marches de répertoire wagnérien dans lequel elle ne pourra qu'exceller : amplitude du chant fondé sur un souffle contrôlé et flexible, timbre flamboyant et technique vocale d'instrumentiste. L'intelligence et la beauté en partage, sa Brangäne énergique et tendre épouse l'émotion éperdue d'Isolde, cette exultation angoissée dont elle tempère l'aspect fou. pénétrante et raffinée rappelle par ses inflexions élancées, les écarts et passages de registres irréprochables, la grande . Qu'elle embarque sur le répertoire du lied ! Qu'elle dédie sa vie à son talent et un jour Fricka peut lui tendre les bras.

Friedmann Layer comme maître à bord du vaisseau musical vogue avec force et lyrisme. Il tient son rythme et sa tension sans erreurs ni décalage. Le travail individuel des pupitres solos est remarquable, les cordes souples et soyeuses mériteraient un peu plus de moiteur et de langueur sur certains passages. Mais comme ensemble, ce travail est du plus bel art, le niveau d'interprétation d'une qualité rare. Le public a été enthousiaste et le succès mérité.

La représentation du 5 octobre était dédiée au chef d'orchestre Armin Jordan.

Crédit photographique : © Marc Ginot/Opéra National de Montpellier

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