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Des Noces au microscope

Angers Nantes Opéra achève le millésime 2006 comme il l'a étrenné : en célébrant le culte mozartien, année anniversaire oblige. Après l'enthousiasmante Flûte enchantée concoctée par le tandem et , voici des Noces de Figaro passées au microscope par le metteur en scène Stephan Grögler.

Pour un ouvrage dont la parfaite logique théâtrale disqualifie a priori toute tentative de réécriture, celui-ci a eu l'intelligence de suivre le rythme imposé par Mozart et Da Ponte, tout en proposant des éclairages originaux et pertinents sur sa mécanique interne.

Les décors sont épurés : un pan de mur pour évoquer chaque lieu, et des accessoires en apparence disparates mais dont pas un ne reste inusité, sollicités tour à tour dans un ballet original par un homme de théâtre spirituel et inspiré, cultivant le clin d'œil et le détail cocasse. Surtout, chaque dispositif scénique ménage différents espaces dans lesquels les personnages se surprennent, s'épient, se trompent et se réconcilient. Les arcades du troisième acte se révèlent particulièrement efficaces dans ce jeu d'espionnage et de dissimulation, tandis que la vision en coupe du réduit des appartements de la comtesse dans lequel se réfugie Cherubin permet au spectateur d'être voyeur à son tour. Tel un horloger mettant à nu le mécanisme d'une pendule, Stephan Grögler nous invite, avec une précision scrupuleuse et une efficacité certaine, à pénétrer tous les rouages et les engrenages de cette folle journée, où ne cessent de s'entrecroiser le sourire et la menace, l'ironie et la colère.

Les costumes sont contemporains, à l'image de la tenue de joueur de polo dans laquelle Cherubin fait son entrée, mais l'essentiel se trouve ailleurs : dans une direction d'acteur très précise et très fouillée, qui n'oublie aucun personnage. On se réjouit ainsi des ridicules de Bartolo ou de l'ivrognerie de Basilio, autant que l'on s'inquiète des brusqueries de Figaro (« Se vuol ballare » lourd de menace et de violence à peine contenue) ou du Comte. La scène est en permanence habitée, sans que jamais l'on ne bascule dans une vaine agitation. Dans ces conditions, même l'habituellement impossible air de Basilio au quatrième acte (« In quegli anni ») trouve des vertus théâtrales insoupçonnées.

deviendra sans aucun doute une exquise Susanna, lorsqu'elle aura acquis une plus grande familiarité du rôle et que ses jeunes moyens se seront étoffés. Elle nous séduit déjà avec une voix à la fois fraîche et corsée, ainsi qu'une présence juvénile et espiègle. Elle partage de plus une approche technique et stylistique irréprochable avec le Figaro de David Bizic, qui domine la distribution sans jamais sacrifier à l'effet, avec un instrument sonore et magnifiquement timbré, ainsi qu'un jeu sympathique et subtil. Sophie Marilley, au physique étonnamment androgyne, réalise une performance d'actrice et de gymnaste irrésistible. Sa crédibilité scénique est telle que l'on en oublierait presque nos repères lors de ses travestissements. Le bilan vocal est plus contrasté, avec une certaine dureté dans l'émission, mais la chanteuse assure aussi vaillamment le tempo infernal sur lequel s'ouvre « Non so più » que les exigeants piani qui le concluent.

Patrick Mallette n'appelle pas de reproches avec un Comte autoritaire et égoïste à souhait ; la voix est homogène et bien conduite. En revanche, , malgré d'évidents scrupules musicaux qui lui autorisent un « Dove sono » somme toute honorable, ne nous a pas convaincu de son identité mozartienne. La voix manque de flexibilité et plus d'un aigu tend vers le cri. Les seconds rôles sont réjouissants : Bernard Deletré détaille avec délectation une « Vendetta » très habitée, nous régale d'un hilarant Basilio (plus proche peut-être de Benigni que de Da Ponte !) tandis qu'Anna Mason, privée de « Il capro e la capretta », campe une Marcelline sonore mais un rien trémulante.

L'ouverture donne le ton en ce qui concerne la direction d'orchestre du jeune chef autrichien , vive et nerveuse. Pas question de s'alanguir dans cette folle journée ! Sa lecture, qui reste pourtant parfaitement contrôlée avec une mise en place et une précision rythmique sans failles, offre à l'Orchestra National des Pays de la Loire l'occasion de déployer ses riches sonorités. Nous saluerons encore l'intervention du chœur et la qualité du continuo. Sans chercher à réaliser des « coups » médiatiques, Angers-Nantes-Opéra persévère avec succès dans une voie vertueuse, en confrontant des talents lyriques en devenir avec des hommes et des femmes de théâtre qui privilégient l'imagination à la provocation ; ces Noces très réussies en sont la juste récompense.

Crédit photographique : © Vincent Jacques

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