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Emmanuel Krivine & Sophie Koch, croisière hédoniste à la rencontre d’une sirène

Cycle voyage en mer

Ce beau concert était en parfaite harmonie avec la salle des concerts de la Cité de la Musique. Le bleu des sièges, le carénage de paquebot et les balustres métalliques des balcons, la hauteur du plafond, jamais cette salle n'était apparue si évidemment « marine ». à la tête de l' nous a embarqué pour un voyage hédoniste. La splendeur de a rehaussé le temps d'une trop courte escale le plaisir dispensé si généreusement tout au long de ce parcours musical. Il s'agit pour de sa première saison à la direction musicale de cet orchestre. À en juger par le sourire qui n'a pas eu l'air de le quitter tout au long de la soirée, à sa manière de féliciter chaleureusement lors de chaque temps d'applaudissements les différents instrumentistes et surtout par l'échange de nombreux regards complices, le courant passe entre eux et la collaboration promet d'être fructueuse et longue.

Le programme sur le papier était séduisant, mais l'ordonnancement des pièces ne paraissait pas idéal. Demander à de venir en fin de première partie dans le Poème de l'amour et de la mer d' puis la faire disparaître laissait d'avance comme goût d'inaccompli. est un bon capitaine et le voyage a été réussi malgré ce cap déroutant. En France, la musique symphonique n'a de loin pas la même importance historique qu'outre-Rhin (Laurent Bayle : programme de la saison 2006/2007 de la Salle Pleyel p. 3 ; 4). Il n'y pas autant de symphonistes parmi nos compositeurs, les salles de concert pour les orchestres existent en petit nombre dans l'hexagone et pour une fois Paris elle-même est, pour l'instant, mal servie. Pourtant les œuvres choisies dans le concert de ce soir, si elles paraissent de dimensions fort modestes, offrent un plaisir musical incomparable pour l'amateur de musique symphonique. La musique à programme, de plus autour de la mer, composée en France entre 1882 et 1926 est en tous cas étonnement variée.

Le Diptyque méditerranéen de ouvre le programme. C'est la partition la plus ancienne (1925/26), hommage à La Mer de Debussy. L'orchestre au grand complet y déploie une splendeur sonore réjouissante. Cette œuvre très construite débute dans un grave abyssal très suggestif du lever du Soleil matinal. Le prélude de la Tétralogie de Wagner n'est pas loin. Par touches successives, tout l'orchestre intervient par famille d'instruments, offrant de beaux soli. C'est ici les cors qui sont absolument remarquables de coloration et d'intonation. Cette pièce d'ouverture, comme un grand crescendo, impressionne fortement les auditeurs. Puis Le soleil Vespéral, en miroir, part d'un tutti fortissimo pour décroître progressivement.

La couleur d'ensemble très française de cet orchestre frappe d'emblée, certainement due à notre proximité géographique et à un héritage du long travail réalisé autrefois avec Louis de Froment. Les bois sonnent très chauds et clairs à la fois, les cordes sont légèrement acidulées, les cuivres scintillants. Aucune lourdeur, des sonorités riches mais jamais appuyées.

L'orchestre est plus réduit pour le Poème de l'amour et de la mer, d'. L'entrée de , la radieuse mezzo que les plus grandes scènes s'arrachent, fait grande impression. Outre une plastique superbe et un sourire généreux, cette cantatrice possède une diction impeccable et une voix d'une richesse incroyable. À certains moments, le timbre est si riche en harmoniques, le vibrato si serré, le souffle si confortable que l'immense Jessye

Norman n'est pas loin ! Le plaisir de chanter cette musique si ensorcelante est si généreusement partagé avec l'orchestre et le chef que l'hédonisme est total. Les soli de violoncelle et de basson sont particulièrement expressifs. Pourtant l'émotion ne nous étreint pas. Cette sorte de distance avec l'émotion, comme un jeu autours de l'idée de la douleur, sans jamais y aller, semble d'avantage proche de la poésie que de la musique. Parti pris surprenant mais intéressant. En parfaite musicienne, Sophie Koch ne tire pas la couverture à elle. Il ne s'agit pas ici de mélodies avec orchestre mais de pièces symphoniques avec voix. Le public est en tout cas comblé et fait un triomphe aux artistes.

Après l'entracte, Une barque sur l'océan de Maurice Ravel semble un prélude à une lecture admirable de La Mer de Debussy. À l'opposé de la lecture analytique d'un Pierre Boulez, Emmanuel Krivine joue avec les timbres, les couleurs, les nuances, n'hésitant pas à demander à l'orchestre des effets spectaculaires. Debussy est bien l'orchestrateur le plus séduisant de la soirée. Le triomphe est total, les solistes sont tous excellents avec une mention particulière pour le violon solo et les trompettes.

Ce concert sera retransmis le 12 février à 15h sur France Musique ne le ratez sous aucun prétexte pour un moment de plaisir intense, avec un grand orchestre qui semble avoir trouvé avec son chef une complicité rare. Et les amateurs de belles voix seront bien en peine de résister aux charmes de Sophie Koch, à l'aise dans cette musique, comme une sirène dans la mer.

Crédit photographique : © Fabrice Dell'Anese

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