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Eugène Onéguine comme on n’ose plus

Autant avait enthousiasmé dans ses précédents spectacles lyonnais de Pélleas et Mélisande et de Falstaff, autant son Eugène Onéguine passe à côté du propos.

Dans le décor scolaire d'un plancher en pente flanqué de deux murs latéraux, la scène n'est habitée que de dérisoires accessoires. C'est un inutile fourneau dans lequel mijote une hypothétique soupe, qu'on débarrasse bientôt (sans brûler les mains de celui qui l'empoigne) pour laisser place à une meule de bottes de paille (manquant de finir dans la fosse d'orchestre) érigée par les travailleurs des champs. Autour de cet incompréhensible totem, on se met à danser bruyamment en frappant des pieds au risque de couvrir la musique.

La direction d'acteurs est, sinon inexistante, du moins sans inventivité. Se bornant à régler les entrées et les sorties de scène, abandonne les chanteurs. La mort de Lenski atteint alors les sommets du ridicule lorsque, blessé, il glisse du haut d'un plan incliné au bas d'un talus de moquette bleue se voulant une impossible neige. Une scène au pathétique digne d'une production telle que même les troupes venues de l'Est n'osent plus montrer ! Du côté des chanteurs, c'est à qui se fera le mieux entendre. Ne s'occupant guère de l'action, ni de ce qu'ils doivent raconter, ni encore de leurs partenaires, ils passent le plus clair de leur temps à chanter face au public. Laissés à eux-mêmes, à leur idée d'un éventuel drame, on se roule par terre, on court de droite et de gauche, on jette son chapeau à terre, on s'éplore en se tenant les mains sur le cœur. Tous les plus mauvais clichés du théâtre sont réunis. Le désespoir de Tatiana à plat ventre dans sa chambre n'a d'égal que celui d'Onéguine se secouant la tête entre les mains comme dans un film des débuts du cinéma.

Musicalement, la direction de s'avère désespérante de mollesse. La musique de Tchaïkovski souvent noyée dans un magma musical sans grâce réapparaît pourtant miraculeusement scintillante au moment du bal chez le Prince Grémine où, dans un ballet sans imagination, on admire l'adresse des danseurs évitant de chuter dans la fosse d'orchestre alors qu'ils tournent dangereusement sur le bord de la scène.

Si, malgré les superbes costumes (Anna Maria Heinreich), le niveau de cette soirée laisse à désirer, le plateau s'efforce d'effacer les tares de la mise en scène et de la direction d'orchestre. Mais que le petit rôle du ténor (Monsieur Triquet) offre l'unique moment de réelle émotion théâtrale en dit long sur l'apport des rôles principaux, même s'il faut reconnaître à la soprano (Tatiana) une prestation digne et engagée et à la basse Michail Shelomianski (Prince Grémine) une présence vocale de grande qualité. Le ténor (Lenski), remplaçant au pied levé un souffrant Edgardas Montvidas, montre de belles qualités vocales, alors que Wojtek Drabowicz (Onéguine) manque du charisme indispensable au rôle-titre. On a retrouvé avec un certain bonheur la voix toujours superbement timbrée de la mezzo-soprano (Madame Larina) qui fit quelques belles apparitions sur la scène du Grand-Théâtre de Genève pendant l'ère Hugues Gall à côté de la très pétillante et imposante nounou de (Filipievna).

Crédits photographiques : © Alain Franchella / Bertrand Stofleth

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