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Puccini dope Laurent Naouri à Lyon

Si l'écrivain italien s'offre la liberté de réinventer l'intrigue de Die Zauberflöte en réécrivant les dialogues d'Emmanuel Schikaneder dans la production turinoise de cette saison, pourquoi le metteur en scène ne s'arrogerait-il pas le droit de changer l'épilogue du Djamileh de  ? L'art, ce doit être cela. Changer ce qui existe déjà.

En totale dénégation du livret de , au lieu d'un sultan « cédant aux plus doux transports » pour la jeune Djamileh, le metteur en scène américain décide qu'il étranglera son amoureuse. En transposant le harem du sultan Haroun dans un loft crasseux et malsain, avec un sultan accro à la télé, repousse l'esprit poétique fleur bleue que Bizet et sa musique imaginaient. Les images de ce « sultan » sniffant de la coke, et en administrant à Djamileh, et du parasite Splendiano filmant tous les faits et gestes de son maître sont aussi en opposition avec le charme de la musique de Bizet. S'il est facile de comprendre le désuet des ambiances d'un harem tel que le raconte la nouvelle d'Alfred de Musset, et que la déchéance du personnage aurait pu être mal interprétée, était-il nécessaire de sombrer dans une fresque aussi vulgaire ?

D'un point de vue vocal, le ténor (Haroun) ajoute à la trivialité de la mise en scène en hurlant son rôle d'une voix ingrate. D'autre part, il est difficile de juger la prestation de la très plantureuse soprano (Djamileh) qui, annoncée souffrante d'allergie, chante avec générosité quoique sans convaincre. Quant à lui, (Splendiano) joue et chante honnêtement un rôle qu'il ne sent visiblement pas dans ce galimatias scénique.

L'apparente contre-performance de Djamileh ne laissait guère augurer de bon pour la suite de la soirée. C'était sans compter sur un (Michele) retrouvé. Dans un grand et inoubliable moment d'opéra, comme libéré, il impose son chant avec l'énergie du désespoir. Éclatant, puissant, sombre d'expression, brillant de vocalité, il construit le drame qui entoure son personnage avec une violence d'abord contenue qui, de soupçons en soupçons, finit par exploser dans un fulgurant monologue. Dopé par l'admirable musique de Puccini, le baryton français déverse son art avec une fascinante générosité.

Aidé par le décor sombre d'un conteneur retenu par les chaînes d'une hypothétique grue, dans la pénombre d'éclairages brouillardeux, dirige son monde avec parcimonie et clairvoyance, construisant autour du drame puccinien un climat de film noir américain des années cinquante. Des autres protagonistes, on retiendra l'entrée conquérante et sonore de la mezzo Ceri Williams (La Frugola) ainsi que la belle italianité de la soprano (Giorgetta), toutes deux soignant avec talent l'intention et l'articulation du texte.

A noter encore la direction sensible, quoique parfois exagérément lyrique, d' à la tête d'un très bel Orchestre de l'Opéra de Lyon.

Crédits photographiques : © Alain Franchella / Bertrand Stofleth

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